Vouloir économiser à tous crins au niveau de la Confédération est en fait un projet chimérique. La réalité est cependant que cette dernière doit sans cesse prendre à sa charge davantage de dépenses des cantons. Comme le montre l’analyse annuelle de l’Union syndicale suisse (USS), la situation financière des cantons est, dans sa grande majorité, très confortable. Tant pour l’année 2024 que pour 2025, il faut à nouveau s’attendre à de copieux excédents. Toutefois, si la façon de penser la politique financière ne change pas, les gens ne verront pas grand-chose de ces derniers.
Bons comptes financiers, mais population ignorée
Une fois tous les comptes 2023 des cantons clôturés, il est apparu au printemps 2024 que l’excédent cumulé des comptes de résultats s’élevait au total à 2,2 milliards de francs alors qu’un déficit cumulé de 1,6 milliard avait d’abord été budgétisé. Les cantons se sont donc trompés de 3,8 milliards en tout. Quant à l’année 2024, il faudra attendre la présentation des comptes au printemps prochain pour savoir à quoi s’en tenir. Pour l’année à venir, 18 cantons sur 26 budgétisent un déficit d’un montant cumulé de 510 millions au total. En comparaison avec l’année précédente, les attentes des cantons sont ainsi, plus positives dans l’ensemble pour 2024 : le déficit cumulé budgétisé pour 2024 se montait à 1 070 millions, c’est-à-dire deux fois plus. Si l’on compare les déficits budgétisés avec les comptes 2023, on peut alors à nouveau s’attendre, tant pour l’année en cours que, et encore plus, pour l’année à venir, à des copieux excédents. Le problème de ces derniers est qu’ils ne sont ni affectés aux investissements si urgents non réalisés à ce jour dans la formation ou les soins, par exemple, ni au renforcement du pouvoir d’achat des salarié-e-s (p. ex. via le développement absolument nécessaire des réductions des primes-maladie), sans parler d’une « compensation du renchérissement » digne de ce nom pour le personnel des cantons. Non, à cause des règles rigides des freins cantonaux à l’endettement, ces excédents « sont mis de côté », c’est-à-dire servent à poursuivre le développement improductif et absurde de la fortune.
Budgets erronés et nouvelles idées
Le taux de fortune nette (fortune nette par rapport à la performance économique) indiqué par les cantons, ou calculé par l’USS, va ainsi continuer à augmenter, selon les budgets 2025, de 5,93 % dans les budgets 2024 à 6,04 % dans les budgets 2025. L’« exactitude de la budgétisation » des cantons joue également à chaque fois un rôle dans l’accroissement de la fortune : les cantons budgétisent chroniquement – aussi par rapport à la Confédération – des dépenses trop élevées et des recettes trop basses. Pendant le dernier exercice comptable clôturé (2023), l’erreur de budgétisation était en moyenne de 6,09 %. Cela veut dire que le solde du compte de résultat était, par rapport aux recettes, proportionnellement aussi supérieur d’autant au résultat budgétisé. Ici aussi, l’excédent réalisé « disparaît » principalement dans les freins à l’endettement. Comme solution de rechange, plusieurs cantons (p. ex. Bâle, Argovie) discutent depuis peu de l’introduction de règles sur le remboursement de l’impôt : les excédents comptables supérieurs à un certain montant doivent automatiquement être redistribués à la population. Avec de telle mesures, plus d’argent reviendrait certes à cette dernière, mais, premièrement, leur mise en œuvre risque – en cas de distribution par tête ou même proportionnellement au revenu imposable – d’être antisociale et, deuxièmement, une règle aussi stricte serait clairement en contradiction avec la flexibilité nécessaire à une politique des dépenses prudente.
Risque de baisses d’impôts… pour les mauvaises personnes
La situation de la fortune et celle des revenus restera donc bonne dans la plupart des cantons l’année prochaine aussi et continuera même de s’améliorer dans de nombreux cantons. Cela a déjà été l’occasion de nouvelles baisses d’impôt surtout en faveur des ménages à haut revenu, mais, à nouveau, des entreprises aussi. S’y ajoute que dans les cantons importants par rapport à l’introduction de l’impôt minimal de l’OCDE (Bâle, Genève, Zoug, Lucerne, etc.), le relèvement à réaliser des impôts sur les entreprises est en majorité utilisé pour financer des programmes de subventions à grande échelle destinés à ces mêmes entreprises, ou à leur personnel spécialisé hautement rémunéré, et qu’il s’agit ainsi de revenir sur ce relèvement.
Hôpitaux et écoles : le service public toujours sous pression
Un contraste frappant avec la situation de la fortune des cantons décrite ci-dessus, ou comme revers de la même médaille, est observé en ce qui concerne la situation du service public dans les régions. Depuis des années, on économise sur le personnel de l’État et l’année prochaine, on risque un gel des salaires et parfois même une baisse des salaires nominaux. Les réductions des primes-maladie ne suivront certainement pas, dans la plupart des cantons, le rythme des nouvelles hausses des primes en 2025, ce qui amputera à nouveau le pouvoir d’achat de la population. Le sous-financement grave des hôpitaux prendra de l’ampleur, de même que la pénurie de personnel dans les soins. Et dans le domaine de la formation, on se trouve confronté à un important recul des investissements, alors que l’on connaît simultanément une pénurie de personnel. Tous ces chantiers nécessitent une nouvelle façon de penser et un vaste engagement syndical.