Lors de la session parlementaire d’automne, le personnel de vente du commerce de détail, une branche aux conditions de travail d’ores et déjà précaires, va se faire harceler. Il risque de devoir travailler plus longtemps et, dans les échoppes des stations-service, aussi non-stop la nuit et le dimanche.
Le tout nouvel avatar du pilonnage en règle auquel s’adonne le lobby des dérégulations est l’initiative du conseiller national genevois Christian Lüscher (PRL), qui passera au Conseil des États le 12 septembre. Elle demande que les stations-service en bordure des autoroutes ainsi que « sur les grands axes routiers » (potentiellement donc aussi en bordure de chaque route principale qui traverse un village) puissent à l’avenir ouvrir leurs échoppes 24 heures sur 24, dimanches compris. Ainsi, chaque exploitant d’échoppe pourrait décider lui-même s’il va fermer la nuit. Nombre des 1600, et même plus, échoppes de stations-service de Suisse se verraient de ce fait très rapidement « américanisées ».
Des conditions de travail d’ores et déjà précaires
Le personnel de ces échoppes, qui doit, aujourd’hui déjà, travailler dans des conditions très mauvaises, se verrait par conséquent exposé à des situations encore plus dommageables pour lui. D’une part, ces échoppes sont souvent exploitées en franchise, ce qui signifie la plupart du temps un cadre précaire sous l’angle du droit du travail. D’autre part, le travail de nuit a, c’est prouvé, une influence négative sur la santé et la vie sociale des travailleurs et travailleuses. Le risque de violences criminelles à l’encontre du personnel de vente (principalement des braquages) a également augmenté ces dernières années. Sans parler de l’incidence négative des heures d’ouverture extensibles à souhait sur le genre de consommation d’alcool (biture express ou « binge drinking ») souvent spontané chez les jeunes. Enfin, n’oublions pas que tous les efforts déployés dans cette branche pour conclure une convention collective de travail (CCT) nationale ont échoué face à l’opposition des patrons.
Un compromis qui n’en est pas un
La « proposition de compromis » que le Conseil fédéral nous offre maintenant ne fait que de diminuer quelque peu le nombre des échoppes à déréguler et doit être qualifiée de poudre aux yeux. En effet, les échoppes ouvertes 24 heures sur 24 resteraient possibles, avec toutes les conséquences négatives que cela implique. Les syndicats rejettent cette proposition de compromis et se réservent, ici aussi, le droit de saisir le référendum.
La motion Hutter
Une motion du conseiller national zurichois Markus Hutter (PRL) poursuit le même but, mais avec des revendications encore plus extrêmes : Monsieur Hutter aimerait que les cantons soient totalement libres de fixer à leur bon plaisir les heures d’ouverture de tous les points de ventes existants (donc pas uniquement les échoppes de stations-service !). Tous les garde-fous et autres mesures de protection mis en place par la Confédération devraient disparaître. Le travail de nuit et le travail du dimanche pourraient à l’avenir devenir possibles, selon la systématique de la législation cantonale, au moyen d’une simple modification d’ordonnance.
La motion Lombardi : un diktat pour imposer une prolongation de la durée du travail
L’idée-maîtresse de la motion du conseiller aux États tessinois Filippo Lombardi (PDC) est, elle aussi, inquiétante. Selon elle, pour toute la Suisse (villes, campagne, régions touristiques, voire communes rurales reculées), la Confédération devra imposer « d’en haut » aux commerces de détail une harmonisation de leurs heures d’ouverture (de 6 à 20 h sur semaine et de 6 à 19 h le samedi) ; cela, en modifiant la loi sur le marché intérieur. Avec une telle réforme, les cantons n’auraient plus le droit de limiter les heures d’ouverture, mais uniquement celui de les étendre. Pour justifier sa demande, Monsieur Lombardi se sert d’un argument totalement inadéquat, à savoir : grâce à une prolongation des heures d’ouverture des commerces, le tourisme d’achat dans les régions limitrophes diminuerait. Que cet argument soit erroné, les deux cantons frontaliers d’Argovie et de Zurich nous le montrent. En effet, malgré des heures d’ouverture longues, ces cantons connaissent quand même un fort tourisme d’achat.
Encore plus étonnant : le Conseil fédéral a recommandé d’accepter, il y a quelques jours de cela, que les droits démocratiques des populations des cantons soient ainsi limités. Reste à espérer que le Conseil des États, c’est-à-dire précisément la Chambre des cantons, ne soutiendra pas cette restriction de la souveraineté de ces derniers.
Combattre la dérégulation
Ces offensives contre les droits du personnel de vente donnent d’autant plus l’impression d’un entêtement borné et idéologique que diverses votations populaires de ces années passées ont débouché sur le rejet d’une dérégulation plus poussée en matière d’heures d’ouverture des commerces. Cet été encore, ce fut à nouveau le cas dans les cantons de Lucerne et Zurich. Pour l’Union syndicale suisse (USS), il est clair que le commerce de détail - avec 320 000 salarié(e)s – c’est la deuxième branche du pays après la construction – ne doit pas se transformer en laboratoire pour les expériences des idéologues de la dérégulation. Les durées du travail sont déjà longues, les salaires très bas et les autres conditions de travail, précisément dans les échoppes des stations-service (absence de CCT nationale), précaires. C’est pourquoi les syndicats combattront ces exigences de dérégulation, si nécessaire par le référendum. Les résultats des votations passées à ce sujet font apparaître que le peuple est du côté du personnel de vente.