Nouvel arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne: Les droits des salarié(e)s à nouveau restreints

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Écrit par Jean Christophe Schwaab

Avec ses désormais tristement célèbres arrêts Viking, Laval, Luxembourg ou Rüffert, la Cour de justice de l’Union européenne (CJE) a maintes fois donné la priorité aux libertés économiques sur les droits des salarié(e)s, en particulier la liberté syndicale, le droit de grève et la négociation collective. Avec le renvoi préjudiciel du 26 janvier 2012 dans la cause « Kücük » (affaire C-586/10), la CJE s’en prend cette fois aux règles qui régentent les contrats individuels de travail, en particulier les contrats à durée déterminée (CDD) et ouvre une brèche dans le droit du travail qui risque fort de dégrader encore plus la situation des travailleurs précaires.

Cette nouvelle décision de la CJE pourrait avoir pour conséquence de durcir les conditions auxquelles un CDD peut être transformé en contrat à durée indéterminée (CDI), respectivement de faciliter la tâche de l’employeur qui veut justifier le recours à des CDD en chaîne, même sur une longue période.

13 CDD avec le même employeur ne font pas un CDI !

Une travailleuse allemande qui avait enchaîné 13 CDD pendant 11 ans dans la même administration publique n’a pas pu obtenir la requalification de cette succession de contrats précaires en un seul CDI. Elle s’appuyait sur la directive 1999/70 CE concernant l’accord-cadre entre partenaires sociaux sur le travail à durée déterminée, une directive qui prescrit aux États-membres de prévenir les abus en cas de CDD successifs en les réputant conclus pour une durée indéterminée lorsqu’il n’existe aucune raison objective de les enchaîner (clause 5). Le droit interne allemand, qui met en œuvre cette directive, prévoit que le remplacement d’un autre travailleur (p. ex. en cas de congé-maladie ou maternité) constitue une « raison objective » autorisant le recours au CDD.

En principe, la CJE considère qu’une succession de CDD est abusive si son objectif est de satisfaire un besoin en personnel permanent. Dans l’arrêt dit « Kücük » - du nom de la personne en litige avec son employeur, le Land de la Rhénanie-du-Nord – Westphalie -, la CJE estime cependant que, dans une administration ou une entreprise dont un grand nombre de collaborateurs doivent se faire régulièrement remplacer, il n’est pas abusif – donc, il est licite - d’engager une seule et même personne par des CDD en chaîne pendant une longue période ; cela, du moment que, lors de chaque CDD, elle effectue un « remplacement ». Exiger de l’employeur qui doit faire fréquemment recours à des remplaçants qu’il les engage en CDI irait ainsi au-delà des exigences de la directive européenne.

Cette décision pourrait concerner un grand nombre d’entreprises et d’administrations, en particulier les plus grandes d’entre elles. En effet, lorsque l’on emploie beaucoup de collaborateurs et collaboratrices, les besoins de remplacements « objectivement justifiés » sont nombreux. L’effet pourrait être encore plus dévastateur dans les branches à forte main-d’œuvre féminine comme, par exemple, la santé.

Quelle influence sur la Suisse ?

Même si la décision de la CJE ne porte pas sur un domaine du droit européen qui concerne la Suisse, il est toutefois à craindre qu’elle n’ait tout de même des conséquences pour notre pays. En droit suisse, le recours à des contrats à durée déterminée en chaîne est également abusif.

Chez nous, une succession de CDD doit, selon la doctrine juridique, être considérée comme un seul CDI lorsqu’il n’y a pas d’interruption entre les contrats (hormis pour cause de vacances, maladie, maternité, accident, obligation légale, pauses entre les CDD dues à la nature du travail temporaire). Le Tribunal fédéral (TF) est cependant plus conciliant, en particulier avec la location de services. Il considère, par exemple, que, pour qu’il y ait un abus de contrats temporaires en chaîne, il faut que le travailleur concerné ait effectué la même mission dans la même entreprise et que les éventuelles interruptions entre les missions intérimaires n’aient été que de très courte durée (quelques semaines au maximum). Selon la haute cour, le législateur a sciemment voulu donner une certaine « souplesse » aux employeurs, qui justifie, selon lui, une moindre protection des travailleurs et travailleuses intérimaires, même si elle admet que leur situation est précaire (ATF 117 V 248). La nouvelle jurisprudence européenne risque malheureusement d’encourager le TF à poursuivre dans cette voie d’une interprétation large de la licéité des contrats en chaîne.

Du point de vue des salarié(e)s, il est très important d’éviter l’enchaînement de CDD, en particulier dans l’intérim. En effet, dans bien des cas, les travailleurs et travailleuses temporaires ne bénéficient pas des mêmes avantages sociaux que leurs collègues engagés de manière indéterminée. Cela concerne en particulier la couverture par les assurances sociales, le paiement du salaire en cas de maladie, les délais de congé ou l’accès à la formation continue. Heureusement, la nouvelle CCT du travail temporaire, entrée en vigueur au début de l’année, améliore la situation matérielle des travailleurs et travailleuses temporaires, même si celle-ci reste précaire de par la nature de la relation contractuelle existante.

Responsable à l'USS

Luca Cirigliano

Secrétaire central

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Luca Cirigliano
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