Le colloque juridique de l'USS de cette année s'est penché sur le thème du temps de travail. Cela implique aussi la question de la protection de la santé et celle de la possibilité de planifier sa vie. Le colloque a montré clairement que les syndicats sont mis au défi.
Le président de l'USS, Paul Rechsteiner, a rappelé dans son allocution de bienvenue que la problématique du temps de travail appartient aux questions classiques touchant au droit du travail et aux activités syndicales. Une des premières lois dans le domaine de la protection des travailleurs et travailleuses, la loi glaronnaise sur les fabriques, réglait et limitait le temps de travail. Mais le choix du thème du colloque avait aussi des motivations fondamentales et politiques : " Par leurs interventions parlementaires encore en suspens, Konrad Graber et Karin Keller-Sutter demandent un démantèlement radical des dispositions protectrices de la loi sur le travail sont nombreuses. L'USS luttera avec tous ses moyens contre ces détériorations. "
Discriminations indirectes dues à l'aménagement du temps de travail
Stéphanie Perrenoud, chargée de cours à l'Université de Neuchâtel, a analysé les discriminations indirectes dues à l'aménagement du temps de travail et à sa planification. Elle a montré que le temps partiel contraint ou les réductions de temps de travail imposées discriminent, le cas échéant les femmes, ce qui enfreint les dispositions de la loi sur l'égalité et la Convention européenne des droits de l'homme. L'aménagement du temps de travail, et des plans d'interventions est discriminatoire s'il n'est pas conciliable avec le travail familial ainsi que d'assistance et de soins (" care ") que les femmes effectuent souvent. Ce qui est au contraire bien plus important est d'être autonome en matière d'horaire de travail et de pouvoir aménager les plans de travail d'une manière participative, non discriminatoire et sûre. L'affichage des horaires, selon l'article 69 de l'ordonnance 1 relative à la loi sur le travail, doit être interprété à la lumière de la loi sur l'égalité, sinon l'employeur se rend responsable d'une discrimination indirecte.
Planifier le temps de travail et éviter du stress
L'affichage des plans d'interventions se fait toujours plus à court terme dans des branches comme la santé, la restauration et le commerce de détail. Cela produit des formes de travail sur appel et de service de permanence (éventuellement non rétribué) contraints. Le stress, pour les salarié(e)s, augmente, la possibilité de planifier son temps de travail, ses obligations ou activités familiales ou autres diminue. L'exposé de Bassem Zein, représentant de l'Office fédéral de la justice, a repris cet aspect dans son exposé. Il a surtout montré que le travail sur appel est restreint par la jurisprudence du Tribunal fédéral, en particulier en ce qui concerne les changements abrupts des horaires de travail : l'employeur est obligé de fournir suffisamment de travail ou, s'il n'y parvient pas, un salaire adéquat.
L'USS a, lors de sa dernière Assemblée des délégué(e)s, retenu cet aspect et exigé que les plans d'interventions soient communiqués au moins quatre semaines à l'avance. Et lorsque ces plans sont modifiés à plus court terme, un supplément de salaire de 25 % doit être versé. Lors d'un service de piquet, le temps d'attente doit être réduit au minimum et le service de permanence doit être honoré d'un supplément d'au moins 25 % de salaire.
Étude sur la responsabilité liée en matière de stress
En raison des formes toujours plus précaires de la planification des interventions et de sa densification croissante du travail, le stress augmente toujours plus. L'épuisement professionnel (" burnout ") est malheureusement devenu la norme dans le monde du travail suisse. Sabine Steiger-Sackmann, professeure à la Haute école des sciences appliquées de Zurich, a observé qu'un quart des salarié(e)s se sentaient actuellement stressés, et qu'encore plus trouvaient que les horaires de travail étaient pénibles. L'USS a mandaté une étude à la professeure sur la manière de procéder concernant la responsabilité en matière de stress, étude qui sera publiée en 2017. Cette étude va se concentrer surtout sur les problèmes procéduraux liés à la production de preuves. Ce sera aussi la tâche des assurances sociales d'utiliser leur possibilité de déposer plainte selon l'article 72 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales (LPGA), recours contre l'employeur responsable, puisqu'en cas de maladie, le privilège matière de responsabilité (art. 75 al. 2 LPGA) ne s'applique pas. On devrait ainsi empêcher que les coûts ne soient reportés sur la communauté.
Dans le domaine du burnout également, l'USS va passer à l'offensive au plan législatif, Elle s'engagera, dans la réforme à venir de l'assurance-accidents (Annexe 1 à l'art. 14 ordonnance sur l'assurance-accidents), pour que le burnout soit reconnu comme une maladie professionnelle. Le colloque juridique a donné des inputs précieux à cet égard.
S'opposer au report du risque entrepreneurial sur le personnel
Gabriela Riemer-Kafka, professeure à l'Université de Berne, s'est attelée dans son exposé à la question du salaire dû par l'employeur pour le temps consacré au travail par l'employé(e). Quand le taux-plancher a été supprimé par la Banque nationale suisse, beaucoup d'employeurs avaient essayé de reporter le risque lié au taux de change sur les employé(e)s en imposant une prolongation du temps de travail pour le même salaire. Comme elle l'a rappelé dans son exposé, ces reports du risque entrepreneurial sont nuls et non avenus. La professeure Riemer-Kafka a montré quels instruments permettent de combattre de tels reports.
Le télétravail
Luca Cirigliano, responsable du dossier du droit du travail et des conditions de travail à l'USS a traité le problème du télétravail. Le travail à domicile n'a en fait rien de nouveau. Si par le passé, l'artisanat et l'industrie étaient concernés par ce phénomène, c'est le cas aujourd'hui d'activités effectuées en bureau, comme le journalisme, la traduction, l'informatique. Il y a seulement deux semaines, le Conseil fédéral a rendu attentif dans un rapport aux problèmes du télétravail soit la saisie du temps de travail, le respect des temps de repos ou le fait d'être constamment joignable.Luca Cirigliano a développé des revendications concrètes pour adapter le droit suisse du travail au télétravail. Le moyen pour le faire : la modernisation de la loi sur le travail à domicile (LtrD).
Précisions :
- Les exposés du colloque peuvent être écoutés en tant que podcast sur www.jusletter.ch probablement à partir de janvier 2017.
- Un numéro spécial du journal spécialisé " Pratique Juridique Actuelle (PJA) " publiera une transcription écrite des exposés du colloque. Celui-ci paraîtra probablement en mars 2017.