Une large coalition rejette les initiatives parlementaires Graber et Keller-Sutter. Mais la Commission de l'économie et des redevances du Conseil des États (CER-E) a récemment chargé l'Administration fédérale de transférer dans la loi ces interventions. On court par conséquent le risque d'assister à un énorme démantèlement de la protection la plus élémentaire des travailleurs et travailleuses.
Les initiatives Graber et Keller-Sutter veulent supprimer, pour une part importante des travailleurs et travailleuses, l'enregistrement de la durée du travail et les prescriptions qui limitent le temps de travail. L'ensemble des faîtières des salarié(e)s ainsi que les principaux syndicats du pays se sont prononcés contre ces interventions et les spécialistes de la santé, les médecins du travail s'élèvent, eux aussi, clairement contre elles.
- Ces interventions font appel à des concepts juridiques nouveaux (" travailleurs qui exercent une fonction dirigeante " et " spécialistes "), qui ne sont pas définis dans le droit du travail. On trouve de nombreuses fonctions dirigeantes dans les entreprises, aussi aux échelons inférieurs de la hiérarchie. De plus, nombre de travailleurs et travailleuses possèdent une très bonne formation et sont des spécialistes. Les personnes qui touchent des petits salaires devraient aussi travailler comme leurs chefs qui sont nettement mieux payés et n'enregistrent pas la durée de leur travail. Ils se retrouveraient dans une situation financière encore plus mauvaise qu'aujourd'hui, car en supprimant l'enregistrement du temps de travail, les heures et le travail supplémentaires ne pourraient plus être payés. Comme les concepts " travailleurs qui exercent une fonction dirigeante " et " spécialistes " sont vraiment flous, plus d'un tiers des salarié(e)s seraient concernés.
- Pour des milliers de travailleurs et travailleuses, de nombreuses dispositions matérielles importantes de la loi sur le travail, comme la durée hebdomadaire maximale du travail, le repos nocturne, le temps de repos, le travail du dimanche, les pauses et les suppléments de salaire, ne s'appliqueraient plus. Ils perdraient ainsi leur protection.
- Il est prouvé aujourd'hui que, pour les travailleurs et travailleuses, le stress est l'un des problèmes les plus importants. Pour essayer de le réduire, la personne qui peut se le permettre travaille aujourd'hui à temps partiel. C'est précisément pour celles et ceux qui travaillent à temps partiel - leur nombre ne cesse d'augmenter - que l'enregistrement de la durée du travail est nécessaire. Sinon, la part de travail fourni gratuitement aux entreprises augmente toujours plus.
- Pour beaucoup, la timbreuse appartient au passé. Grâce à la numérisation, l'enregistrement de la durée du travail est aujourd'hui chose très aisée, en tout temps et en tout lieu.
- Les interventions parlementaires précitées veulent raccourcir le temps essentiel aux travailleurs et travailleuses dans leur vie privée pour se régénérer et avoir une vie sociale. La conséquence en est l'insatisfaction, le stress, davantage d'absences dues à la maladie et donc, finalement, de problèmes sociétaux. La Suisse repose essentiellement sur un système de milice que ces initiatives parlementaires attaquent frontalement (politique, pompiers, armée, sport, musique, etc.). La possibilité de concilier famille et profession, qu'il y aurait lieu d'améliorer étant donné la pénurie de personnel qualifié, s'en trouverait d'autant plus menacée.
Après la décision de la commission, l'Administration fédérale se voit confier le rôle, impossible à jouer, de concrétiser juridiquement ces initiatives parlementaires sans mettre en danger la santé des travailleurs et des travailleuses ainsi que la possibilité de concilier famille et profession ; cela, sans faire du travail gratuit la norme.
Une plateforme contre les intérêts de ses propres membres...
Que la " plateforme " d'Employé suisse, de la Société des employés de commerce (SEC Suisse) et de l'Association suisse des cadres (ASC) s'associe au chœur de ceux qui veulent démanteler les protections accordées par la loi sur le travail est contraire aux intérêts mêmes des travailleurs et travailleuses. De fait, la plateforme demande l'introduction de la semaine de 60 heures et de la journée de 15 heures. L'USS dit clairement non à cette demande.
Les deux propositions de la plateforme sont dangereuses pour la santé et vont à l'encontre d'une meilleure conciliation entre vie privée et professionnelle. Elles contredisent aussi les résultats de toutes les études pertinentes selon lesquelles, en Suisse, les employé(e)s à plein temps travaillent déjà beaucoup et le stress augmente au travail. Le sondage de SEC Suisse a même montré que les employé(e)s ne souhaitaient pas d'horaires plus longs mais préféraient plutôt enregistrer leur temps de travail. Et ce sont justement les cadres et la main-d'œuvre très qualifiée visés par la dérégulation voulue par la plateforme qui se plaignent d'un stress croissant et de la baisse de leur autonomie dans la gestion du temps de travail.
L'introduction de la semaine de 60 heures ainsi que la possibilité d'étendre la journée de travail à 15 heures et de ne laisser que 9 heures pour le repos et la famille ouvrent grand la porte à l'épuisement professionnel et aux maladies dues au stress. Cela, d'autant plus si l'enregistrement du temps de travail devait être en même temps supprimé, comme des interpellations pendantes le demandent au Parlement. L'élimination des heures supplémentaires que cela impliquerait provoquerait davantage de travail gratuit.