Le droit suisse du travail est armé pour faire face aux défis de la numérisation. Mais des améliorations sont nécessaires, en particulier pour lutter contre le travail au noir numérique et le travail gratis ainsi qu'en matière de protection de la santé et de télétravail. Tel est en quelques mots le bilan du colloque juridique de haut niveau organisé à la mi-décembre par l'Union syndicale suisse (USS).
Une chose est claire : la numérisation doit être aménagée de manière à ce qu'elle serve aux travailleurs et travailleuses. Pour y arriver, l'USS et ses syndicats veulent recourir à tous les instruments juridiques et politiques existants.
Les mêmes devoirs, aussi pour les employeurs sur plate-forme !
Si, en se servant des instruments éprouvés du droit contractuel, on analyse minutieusement de nombreux fournisseurs de plates-formes en étant attentif à chaque cas individuel, il apparaît clairement que, très souvent, on est en présence de contrats classiques. C'est ce qu'ont constaté lors du colloque Bassem Zein, de l'Office fédéral de la justice, et Ndiya Onuoha, de l'Office des assurances sociales du canton de Zurich. Conclusion : les personnes qui travaillent sur des plates-formes informatiques ont droit à ce qui est prévu dans le Code des obligations (vacances, heures supplémentaires, délais de congé, indemnisation pour service de piquet) et le droit des assurances sociales (cotisations AVS, assurance-chômage, 2e pilier, aussi de l'employeur, indemnité journalière en cas d'accident, etc.).
Les employeurs comme le service de taxis UBER, qui donne à ses contrats une appellation erronée, ne pratiquent rien d'autre que l'indépendance fictive et encouragent de ce fait le travail au noir numérique. Pour l'USS, c'est inacceptable. Les participant(e)s au colloque ont clairement montré que l'arsenal juridique à disposition permet déjà de faire constater l'existence de travail au noir numérique. Il appartient à toute autorité compétente de veiller à l'égalité des droits, à ce que la concurrence reste loyale et que les travailleurs et travailleuses soient protégés comme il se doit, ainsi que de contrôler que les lois sont respectées. Ce dernier point concerne surtout la loi sur le travail (LTr) et la loi sur l'assurance-accidents (LAA). S'y ajoutent les lois sur les assurances sociales, l'ordonnance sur les chauffeurs et des règles appliquées dans l'industrie.
Stratégies procédurales contre la précarisation
Lors du colloque, des stratégies procédurales contre les risques découlant du travail sur plate-forme ont été présentées. Leur but est de permettre aux syndicats d'agir contre les employeurs qui, sous prétexte de numérisation, veulent spolier leur personnel des dispositions de protection légales élémentaires. Se basant sur une expertise juridique, Anne Meier a montré que les syndicats ne disposent pas uniquement des instruments de la LTr et de la LAA, mais aussi de ceux qui se trouvent dans la loi contre la concurrence déloyale. De plus, des droits fondamentaux, notamment ceux qui figurent dans la Constitution fédérale et la Convention européenne des droits de l'homme, on peut déduire le droit des syndicats à informer électroniquement les employé(e)s.
Quelques adaptations ponctuelles des lois sont nécessaires
Le droit suisse du travail est-il encore adapté à l'ère de la numérisation ? Oui, s'il est systématiquement appliqué par les autorités. Surtout lorsqu'il s'agit de lutter contre le travail au noir numérique et de respecter les règles des assurances sociales ainsi que celles de la protection des travailleurs et travailleuses (LTr, LAA), les autorités sont tenues de procéder à des contrôles systématiques et conformes aux principes de l'égalité juridique.
Des problèmes existent dans le domaine couvert par la loi fédérale sur le droit international privé (LDIP). En outre, les salarié(e)s du télétravail sont trop peu protégés. C'est pourquoi l'USS demande que la loi fédérale sur le travail à domicile soit adaptée en conséquence. Dans le télétravail aussi, les questions de responsabilité, d'ergonomie, de protection des données et de mise à disposition de matériel ainsi que de remboursement des dépenses doivent faire l'objet de réglementations spécifiques. C'est à une conclusion similaire que le Conseil fédéral est arrivé en 2016 dans son rapport sur le télétravail. Mais, cela n'a malheureusement été suivi d'aucune action concrète.
La LDIP doit être modifiée pour que les exploitants de plates-formes n'aient en particulier pas le droit de prévoir dans leurs contrats de travail des clauses d'arbitrage ou des éléments de droit étranger. Par exemple, il n'est pas question qu'UBER prescrive à ses employé(e)s qu'en cas de litige, ils n'ont pas le droit de faire appel à un tribunal des prud'hommes suisse, mais doivent prendre à leur charge une procédure d'arbitrage aux Pays-Bas extrêmement chère et lourde, qui se fera en plus en anglais ! De telles clauses sont clairement illégales, car elles contreviennent à l'article 27 du Code civil suisse. La pratique des tribunaux va montrer si ces clauses sont considérées dans tout le pays comme excessivement contraignantes. D'une manière ou d'une autre, l'USS demande que la LDIP soit adaptée et que le Tribunal fédéral modifie en faveur des travailleurs et travailleuses sa jurisprudence concernant l'article 341 du Code des obligations ; cela, également pour les rapports de travail internationaux.
Une brochure sur la protection de la santé
Une brochure de l'USS sur les questions soulevées par la protection de la santé au travail à l'ère de la numérisation a été présentée lors du colloque dans sa version allemande (la version française sortira pendant la deuxième moitié du mois de janvier). Elle explique dans un langage très accessible, mais précis, quels sont les instruments juridiques à la disposition des secrétaires syndicaux, des commissions du personnel et des personnes de confiances ou militant(e)s syndicaux. Il est possible de la commander auprès de l'USS.