En matière d’horaires de travail, de pauses ou d’heures supplémentaires, certains politicien(ne)s de droite proposent d’appliquer la loi de la jungle. Selon eux, ce domaine n’a pas besoin de législation, les inspectorats du travail n’ont pas à contrôler quoi que ce soit. Que la pression sur le lieu de travail rende toujours plus de monde malade n’émeut en rien ces disciples de la dérégulation tous azimuts, pour qui il n’y a plus lieu non plus que l’on enregistre les durées du travail.
Les attaques continuellement dirigées contre le droit du travail présentent un avantage. Grâce à elles, des études pointues démontrent ensuite rapidement quelles relations existent, sur les lieux de travail, entre conditions de travail précaires, hausses de la productivité, mondialisation, stress et tableaux cliniques psychiques. Des études qui confirment toutes les anciennes analyses déjà effectuées ainsi que les revendications avancées par les syndicats.
Avec une CCT, c’est toujours mieux
La nouvelle étude européenne sur les conditions de travail (Seco et Haute école de Suisse nord-occidentale : « 5ème enquête européenne sur les conditions de travail 2010 – Résultats choisis selon la perspective suisse ») montre qu’au chapitre des conditions de travail, harcèlement psychique compris, la Suisse ne se situe que dans le gros du peloton européen, mais ne fait pas mieux. Et la situation s’est plutôt dégradée ces cinq derniers années, notamment dans le secteur tertiaire (bureaux, banques, commerce, vente, services, etc.). Par contre, dans l’industrie et le secteur principal de la construction, les indicateurs de stress, bruit et autres facteurs de risques (physiques) pour la santé (port de lourdes charges, poussière, chaleur), se sont plutôt améliorés. Ce n’est sans doute pas un hasard si des progrès ont été réalisés précisément dans des branches où le taux de syndicalisation et la couverture des conditions de travail à travers des conventions collectives de travail (CCT) négociées par les partenaires sociaux sont élevés…
En revanche, les conditions de travail se sont dégradées, durant la période étudiée, dans les branches où il n’a malheureusement pas été possible de négocier de CCT ou dans lesquelles celles-ci sont rares. Cela se traduit la plupart du temps par une pression psychique accrue sur le lieu de travail, à savoir : moins de temps pour accomplir les mêmes tâches, voire encore plus (pression aux délais) ou, par exemple, plus de grands bureaux bruyants et pas adaptés au plan ergonomique. En 2005, près de 70 % des employé(e)s de Suisse ont dû travailler à une cadence trop élevée. En 2010, ils étaient déjà 84 % dans cette situation ! Et selon l’étude sur le stress du SECO (« Résumé de l’étude sur le stress 2010 »), 25 % des personnes interrogées font état de symptômes d’épuisement professionnel ou de tendances à ce dernier.
Un scandale : la durée du travail est enregistrée toujours moins souvent
Mais le vrai scandale ici, c’est que toujours plus d’employeurs font pression sur leur personnel pour qu’il ne note plus ses heures supplémentaires ou ne respecte plus les pauses prévues ou ses temps de repos ! Ce phénomène se manifeste aussi dans le fait qu’actuellement, 16,7 % des travailleurs et travailleuses du pays n’enregistrent plus (n’ont plus le droit d’enregistrer) leurs durées de travail. Ainsi, leurs employeurs ne remplissent de facto plus une grande partie de leurs obligations légales quant aux documents qu’il leur appartient de fournir aux inspectorats du travail… Autant de grossières infractions, que de nombreux gouvernements cantonaux tolèrent !
Une autre étude (C. Dorsemagen, A. Krause, M. Lehmann, U. Pekruhl : « Les horaires de travail flexibles en Suisse – Évaluation des résultats d’un sondage représentatif auprès de la population active suisse ») fait apparaître que l’enregistrement de la durée du travail et, logiquement, le contrôle régulier ainsi que le respect des pauses et des temps de repos qui vont de pair sont des facteurs de résistance au stress, au surmenage émotionnel, aux dépressions ou aux troubles du sommeil. Il y est aussi dit que la satisfaction au travail, un des meilleurs « contrepoisons » au stress, est toujours la plus grande lorsque les travailleurs et travailleuses peuvent combiner des horaires flexibles à un enregistrement simple et d’accès aisé de la durée du travail, par exemple au moyen d’une application). L’expérience montre que si la durée du travail n’est pas enregistrée, les temps de repos ne sont tendanciellement pas respectés, les pauses sont « oubliées » et les gens travaillent plus durant leurs loisirs ou en cas de maladie, c’est-à-dire gratuitement. Impossible ensuite de se reposer et de récupérer. En outre, les heures supplémentaires non plus ne peuvent plus être comptabilisées proprement si l’employeur supprime l’enregistrement du temps de travail. Conséquence : du travail effectué gratuitement.
Les plus touchés : dans les bureaux et les banques
Cette étude fait aussi apparaître que travailler gratuitement sous la forme d’heures supplémentaires non rémunérées ou non compensées et « oublier » des pauses nourrit l’insatisfaction au travail et, finalement, rend malade. Les principales victimes sont les employé(e)s de bureau et de banque. Depuis des années, certains employeurs veulent nous faire avaler que la flexibilité des horaires de travail et l’enregistrement de la durée du travail s’excluraient. Ce conte est désormais reconnu comme tel : non seulement les horaires flexibles et les formes modernes de contrôle de la durée du travail se complètent on ne peut mieux, mais ils font souvent aussi obstacle au stress et aux autres atteintes à la santé que sont, par exemple, l’épuisement professionnel ou les dépressions, sans parler de leur incidence financière sur l’économie !
N’oublions pas que ce sont surtout les parents et leurs familles qui souffrent du stress engendré par le travail et du manque de temps de repos. Les femmes à qui, comme c’est fréquent aujourd’hui, il revient de prodiguer, sans être payées pour cela, des soins ou d’assurer l’éducation des enfants, se trouvent tout spécialement confrontées à un vrai dilemme (voir le texte d’orientation du Congrès 2010 de l’USS « Concilier l’horaire de travail avec la famille, les loisirs et la santé », Dossier N° 73 de l’USS, p. 6 ss.). Les mères qui exercent une activité lucrative souffrent en particulier de ce que la séparation entre travail professionnel et travail familial devient toujours plus poreuse, ainsi que du non-enregistrement de la durée du travail.
Dans tous les cas, enregistrer la durée du travail est la seule mesure qui protège contre des conditions de travail psychiquement nocives. Y renoncer est une « activité à haut risque », tant pour le travailleur ou la travailleuse (risque de tomber malade) que pour l’employeur (incidence financière des maladies dues au stress).
NON à une dérégulation encore plus poussée – OUI à des contrôles de la durée du travail
Pour protéger la santé des travailleurs et des travailleuses et leur permettre de mieux concilier famille et profession, l’Union syndicale suisse (USS) combat toute nouvelle dérégulation des horaires de travail (p. ex. via les heures d’ouverture des commerces). Nous lutterons, si nécessaire en saisissant le référendum, contre les projets débattus aux Chambres fédérales, comme l’initiative parlementaire Lüscher et ladite « Variante du Conseil fédéral », qui prévoient une ouverture 24 heures sur 24 (y compris le dimanche !) des échoppes des stations-service. Confronté à des conditions de travail d’ores et déjà suffisamment mauvaises, le personnel de vente a en effet largement gagné le droit de se reposer la nuit et le dimanche ! Pour les mêmes raisons, l’USS rejette les autres propositions de dérégulation discutées au Parlement, comme la motion Lombardi, qui veut prolonger la durée du travail de tous les employé(e)s du commerce de détail, de même que la motion Abate, une nouvelle offensive contre les conditions de travail dans cette branche, qui se cache derrière l’énorme prétexte de l’encouragement du tourisme.
Étant donné les vérités scientifiquement établies par les études susmentionnées, l’USS rejette énergiquement la dérégulation proposée par le SECO, via une modification de l’ordonnance 1 relative à la loi sur le travail (art. 73a). Dans sa <link uploads media>réponse à la consultation fédérale à ce sujet, un document qui n’existe qu’en allemand, l’USS dit NON à la suppression de l’enregistrement de la durée du travail pour de nombreuses catégories d’employé(e)s, comme celles et ceux des banques et des bureaux . C’est pourquoi elle demande aux gouvernements cantonaux de mettre une fois pour toutes plus de ressources en personnes et en argent à la disposition de leurs inspectorats du travail, afin que ceux-ci puissent effectuer dans les entreprises de tout le pays des contrôles sérieux comme il se doit, y compris celui de l’enregistrement de la durée du travail !