Le sous-emploi atteint des niveaux record
Le monde du travail a beaucoup souffert et reste marqué par la crise du coronavirus. Fin 2020, le sous-emploi dans le pays se situait autour des 10 % (calculé en équivalents plein temps), un ordre de grandeur qui n’a plus rien à voir avec d’autres récessions, comme par exemple celle qui a suivi la crise financière de 2008. Et la situation aurait été encore bien pire sans les mesures de stabilisation socio-politiques (chômage partiel, APG, etc.) qui ont été prises. Il suffit, pour s’en convaincre, de regarder ce qui se passe aux États-Unis où le chômage a grimpé de façon vertigineuse.
Ce sont en général les personnes qui n’ont pas de rapports de travail stables qui subissent de plein fouet les effets d’une crise économique. Donc : les jeunes, les employé-e-s avec des contrats à durée déterminée ainsi que d’autres formes précaires de contrat de travail, comme le travail sur appel entre autres. Pendant la crise sanitaire, la participation des 15-24 ans au marché du travail a fortement diminué. Cette tendance est préoccupante, non seulement pour l’avenir des personnes concernées, mais aussi pour celui de l’économie de notre pays.
Parallèlement, il est encore plus difficile pour les personnes au chômage de retrouver un emploi en raison de l’arrêt partiel des activités économiques. Le nombre d’arrivées en fin de droit risque d’augmenter. Les personnes de plus de 55 ans sont les plus touchées : dans cette catégorie, le taux de chômage a augmenté jusqu’en novembre.
Les problèmes de pouvoir d’achat s’aggravent en particulier pour les faibles revenus
Les personnes à faible revenu sont elles aussi durement touchées. En effet, les mesures sanitaires concernent avant tout l’hôtellerie-restauration, le tourisme et la culture, autant de domaines où l’on trouve davantage de personnes qui gagnent relativement peu. Elles sont aussi plus souvent au chômage et surreprésentées parmi les personnes au chômage partiel (réduction de l’horaire de travail, RHT). L’augmentation des indemnités RHT décidée tout récemment par le Parlement va certes atténuer leurs problèmes, ce qui est une bonne chose, mais n’en profiteront que les salarié-e-s dont le salaire est très bas.
S’y ajoute le fait que les salaires en général n’augmentent guère, alors que la charge que représentent les primes-maladie demeure élevée. Les problèmes de pouvoir d’achat et de revenu, déjà présents avant la crise du coronavirus, n’ont donc pas été résolus, ils se sont au contraire encore aggravés. La consommation privée s’en trouve affectée et, de ce fait, également l’évolution conjoncturelle.
La crise frappe la Suisse à un moment difficile
La crise du coronavirus frappe l’économie suisse à un moment difficile. La forte surévaluation du franc n’a pas seulement freiné le secteur exportateur, mais aussi les activités d’investissement. Les exportations suisses de machines industrielles ont été divisées par deux depuis 2008 et sont retombées cette année au niveau de 1988. La croissance des investissements – surtout dans les catégories d’avenir des TIC, de la R&D et des logiciels – a même été inférieure à celle enregistrée dans la zone euro pourtant frappée par la crise.
Des années 1990 à la crise financière de 2008, l’économie suisse a profité de l’évolution sur les marchés financiers. Le fort mouvement à la hausse sur ces derniers a permis de financer confortablement les caisses de pensions. La place financière en a également bénéficié et le cours du franc a été favorable à l’économie réelle. Depuis la crise financière, les choses ont cependant pris la direction inverse : d’une part, l’économie réelle souffre beaucoup de l’appréciation du franc et, de l’autre, le financement du 2e pilier devient plus compliqué. Ainsi, le montant des nouvelles rentes diminue, alors que les cotisations sont toujours plus élevées.
Peu de pays dépendent autant des marchés financiers que la Suisse avec son importante place financière et les fonds massifs des caisses de pensions. De plus, l’économie est fortement exposée aux variations de taux de change, car la Suisse dépend fortement des exportations et a sa propre monnaie dont le cours varie. Évaluations et dévaluations ont donc un impact plus important sur le PIB que dans la plupart des autres pays.
Cette évolution défavorable depuis la crise financière peut encore se renforcer. En effet, en raison de la baisse des revenus des placements financiers, les acteurs financiers tendent à augmenter le capital investi pour atteindre leurs objectifs de rentrées, ce qui réduit à nouveau le potentiel de rendement sur les marchés. Ce cycle ne concerne pas que les caisses de pension, dont le capital augmente par la hausse des cotisations, mais par exemple aussi les avoirs de l’assurance-accidents. En outre, la baisse des rentes du 2e pilier auront pour effet qu’un plus grand nombre de personnes ouvrira un compte de prévoyance dans le 3e pilier.
Conclusions en matière de politique économique et revendications
L’année 2021 sera exigeante sur le plan économique et social. L’objectif immédiat reste la préservation des emplois et des salaires pendant la crise du coronavirus. Dès que celle-ci sera sous contrôle (vaccins et immunité des personnes guéries, entre autres), tout devra être entrepris pour relancer la conjoncture et réduire l’important taux de sous-emploi. Pour que la Suisse puisse faire face aux défis de l’avenir, il faut absolument reconsidérer notre dépendance à l’égard des marchés financiers. Le rapport prix-prestation de la prévoyance vieillesse peut être amélioré par un renforcement du système de répartition. La politique monétaire doit faire plus d’efforts pour contrer l’appréciation toxique du franc, qui compromet l’évolution de domaines d’investissement importants pour l’avenir et celle de l’économie réelle. La transition écologique aussi a besoin d’une économie réelle intacte. Il en découle les revendications suivantes :
- distribuer les réserves excédentaires des primes-maladie à hauteur de 5 milliards de francs, ce qui permettra, à un moment difficile, de fournir une impulsion de plus de 500 francs par personne pour le pouvoir d’achat. Il faut en plus augmenter les subsides pour les réductions des primes-maladie ;
- augmenter le nombre des indemnités journalières de l’assurance-chômage et prolonger les délais-cadres dans l’assurance-chômage jusqu’au printemps, comme lors de la première vague de la pandémie. Les chômeurs et chômeuses âgés ou qui se trouvent dans des branches et des professions totalement ou partiellement fermées ont particulièrement besoin de ces mesures ;
- prendre d’autres mesures de soutien pour les branches fermées afin d’éviter faillites et licenciements, par exemple en versant plus de fonds via l’outil du chômage partiel. L’efficacité des solutions prévues pour les cas de rigueur n’est que partielle et les aides sont trop lentes à arriver à destination ;
- fournir des garanties financières au secteur de la santé, fortement mis à contribution, qui en a pour mettre en place les ressources nécessaires. Soumis à de lourdes contraintes, le personnel a plus que mérité une hausse de salaire ;
- renforcer le système de répartition dans la prévoyance vieillesse, via des composantes de répartition dans le compromis trouvé par les partenaires sociaux sur la révision de la LPP et via une 13e rente AVS. Les demandes de nouveaux allégements fiscaux concernant le 3e pilier sont complètement aberrantes. Enfin, une partie des bénéfices de la BNS doit être allouée à l’AVS ;
- lutter systématiquement contre l’appréciation du franc ; il y a encore du potentiel d’amélioration en la matière si la BNS communique plus clairement et se donne des objectifs conséquents[2].
[1] Estimation réalisée avec un modèle VAR pour la période 1994-2019. Variables : indice du cours de change réel selon la BRI et PIB réels.
[2] Cf. à ce sujet blog de Daniel Lampart (en allemand) : www.sgb.ch/themen/wirtschaft/detail/schweizer-maschinenexporte-auf-dem-niveau-von-1988-bekaempfung-der-frankenueberbewertung-ist-ueberfaellig-und-moeglich.