Empêcher la libéralisation complète du marché de l’électricité s’est révélé être, pour les petits clients en Suisse, la meilleure protection contre les flambées des prix de l’électricité. Il s’agit aujourd’hui de tirer les bonnes leçons de cette expérience. Bonne nouvelle : l’extinction des feux a déjà sonné chez les adeptes les plus fervents du marché libre.
L’approvisionnement de base comme bouclier de protection
Il y a peu de temps encore, personne ne s’attendait à cette double tuile : peu avant le choc redouté des primes-maladie, les ménages en Suisse doivent aussi faire face à des hausses brutales du prix de l’électricité. Bien sûr, les coûts de l’électricité sont depuis longtemps un poste non négligeable au budget d’un ménage moyen. Mais ils restaient jusqu’ici presque insignifiants comparés aux primes d’assurance-maladie et aux loyers. Il y a essentiellement deux raisons à cela : premièrement, le fait d’avoir réussi à empêcher jusqu’à présent la libéralisation totale du marché de l’électricité a protégé les petits consommateurs des hausses de prix brutales sur les marchés internationaux de l’énergie. Et deuxièmement, dans l’approvisionnement de base, l’électricité renouvelable produite en Suisse (qui représente tout de même deux tiers du total) ne peut être facturée plus cher que le coût de production. L’année prochaine, cette « règle du prix de revient » profitera en particulier aux ménages qui habitent dans la zone de desserte d’un fournisseur d’énergie produisant lui-même une part élevée de son électricité.
Production d’électricité : les mythes liés au marché
D’autres fournisseurs d’énergie, en revanche, doivent acheter beaucoup d’électricité sur les marchés internationaux et prévoient dès lors de répercuter des hausses de prix faramineuses sur leurs client-e-s finaux. Pourquoi cela ? D’une part, contrairement à ce qui s’est passé pour l’approvisionnement de base, la large ouverture du marché n’a malheureusement pas pu être évitée dans le domaine de la production d’électricité. Les prix de l’électricité peuvent donc s’envoler à la bourse (avec les bénéfices astronomiques que cela implique pour de nombreux grands groupes énergétiques). Et ce sont la population ordinaire et les entreprises qui en paient le prix fort.
D’autre part, la Suisse a malheureusement raté l’occasion d’augmenter la part des nouvelles énergies renouvelables à un niveau substantiel à travers une offensive d’investissements publics et ce, principalement en raison de la politique d’obstruction menée par la droite pendant des années (« la stratégie énergétique a échoué ! »). Cela lui aurait aussi permis de se libérer dès aujourd'hui de la dépendance économique et géopolitique des énergies fossiles (tout en mettant en œuvre une politique climatique exemplaire). Pour les uns, c’était tout simplement inutile (ou alors ils misaient à nouveau sur l’énergie nucléaire, peu efficiente, dangereuse et beaucoup plus coûteuse pour les pouvoirs publics). Pour d’autres, il fallait aussi laisser au marché le soin de s’en occuper. Ce qui, en temps normal, ne l’intéresse aucunement.
Se mettre à l’abri du marché : oui, mais…
Dans le domaine de l’approvisionnement en énergie, les errements dus à une foi aveugle dans le marché apparaissent au grand jour. Le meilleur exemple en est la revendication récente des partisans les plus fervents de l’ouverture partielle du marché de l’électricité (Union suisse des arts et métiers, entre autres) : ils demandent aujourd’hui que les gros consommateurs qui ont choisi de passer dans le marché libre puissent revenir à l’approvisionnement de base protégé. Maintenant que ça chauffe, ils préfèrent prendre leurs distances avec le marché libéralisé. Si l’on fait abstraction de la perte totale de crédibilité, c’est tout-à-fait compréhensible de leur part, et même absolument nécessaire pour les entreprises concernées. Car aucune société ne peut maintenir sa production si les dépenses en énergie représentent soudain 30 % des coûts totaux au lieu de 3 %. Mais une autre chose est sûre : celui qui a le droit de revenir dans l’approvisionnement de base pour sauver son entreprise devra aussi y rester par la suite (tout comme c’est le cas actuellement lors d’un passage au marché libre). Il ne doit certainement pas pouvoir le quitter à la première occasion possible, à savoir lorsque les prix de l’électricité baisseront à nouveau.
Il faut des mesures concrètes tout de suite
S’éloigner du marché en développant les services de base et les investissements publics dans les énergies renouvelables : c’est ainsi que l’on pourrait mettre en place deux mesures déterminantes à moyen terme pour un approvisionnement énergétique abordable et climatiquement neutre. Des mesures qui semblent subitement susceptibles de réunir de larges majorités. Mais, pour revenir à ce qui a été dit en introduction, elles ne permettront pas de résoudre le grave problème de l’augmentation du prix de l’électricité auquel les ménages privés devront faire face dès l’année prochaine. Pour cela, il faut des mesures urgentes et efficaces rapidement. Voici celles qui s’imposent :
- Plafonnement des taxes : Le prix de l’électricité se compose du tarif de l’énergie et de différentes taxes d’État. Il est donc relativement facile pour l’État de faire en sorte que ces dernières n’augmentent pas l’année prochaine. Mais pour cela, la réserve hydroélectrique prévue (« un montant élevé qui se chiffre en centaines de millions ») et les dépenses supplémentaires du gestionnaire du réseau de transport (également un montant à trois chiffres en millions) devraient absolument être financées par des fonds publics, et non – comme c’est prévu pour l’instant – par une augmentation du tarif d’utilisation du réseau.
- Contrôle des tarifs : L’ElCom, l’autorité de surveillance et d’approbation des tarifs, doit surveiller méticuleusement les entreprises d’approvisionnement en énergie. Il faut absolument éviter que les entreprises qui ne sont pas touchées par la hausse internationale des prix de l’électricité surfent sur la vague générale et tentent, par des tours de passe-passe, d’augmenter également les prix de l’électricité pour leurs clients finaux dans l’approvisionnement de base.
- Rôle des cantons et des communes : Presque toutes les entreprises d’approvisionnement en énergie sont détenues – majoritairement ou entièrement – par les cantons et les communes. Ces derniers sont donc particulièrement tenus de veiller à ce que l’augmentation des tarifs de l’énergie soit aussi modérée que possible. La réduction des réserves de l’entreprise, là où elles existent, doit être une condition préalable à une répercussion inchangée de l’augmentation des prix du marché sur les clients finaux.
- Plafonnement du tarif de l’électricité : Comme l’a fait la France pour 2022 (et vient de le prolonger pour 2023), le tarif de l’électricité de base pourrait être plafonné jusqu’à un certain quota de consommation. Les moyens pour y parvenir seraient disponibles, ou sont en train de s’accumuler grâce aux bénéfices élevés que font actuellement les grands groupes énergétiques.