L’Union suisse des arts et métiers (USAM) puise largement dans ses riches coffres afin de combattre l’initiative sur les salaires minimums. Mais c’est pour présenter des arguments des plus indigents. Le tout prenant la forme d’un tous-ménages qui vient d’atterrir dans nos boites aux lettres.
Favorise la pauvreté au lieu du travail. Détruit des emplois. Sera fatal à la formation professionnelle. Et ensuite, nous devrons émigrer pour retrouver un travail…
Telles sont les appréciations que l’on peut lire dans le journal que l’USAM vient de faire distribuer dans toutes les boites aux lettres de la nation. À entendre pareil chapelet de plaintes, on pourrait croire que les arts et métiers de ce pays sont pauvres, très pauvres. Mais si l’on feuillette les pages colorées de ce tous-ménages, on constate qu’ils sont riches. En argent, en tout cas. Nous ne parlons pas d’intelligence. En effet, chaque ligne de ce journal « oublie » qu’en Suisse, on trouve plus de 330 000 emplois pour lesquels des personnes gagnent moins de 4 000 francs par mois (converti en plein temps).
Une autre chose frappe aussi : ce journal des arts et métiers n’a, par prudence et avec un flair certain quant aux effets potentiellement contre-productifs, n’a pas donné voix au chapitre au directeur de l’USAM, H.-U. Bigler, une personne qui s’était mise hors-jeu en affirmant publiquement que la plupart des bas salaires n’étaient que des « salaires d’appoint ».
Mais il a donné la parole à D. Spiess. Et oui, vous l’avez reconnu. C’est bien lui le marchand de chaussures pour qui les conventions collectives de travail sont une méthode de l’(ex-)Allemagne de l’Est. À nouveau saisi par le besoin de lancer une proclamation, D. Spiess explique qu’après un oui au salaire minimum, « Tout employeur se (demanderait) s’il vaut la peine de payer des salaires aussi élevés pour des temps partiels. » Qui va-t-il donc bien vouloir et pouvoir engager alors ?
Puis, c’est au peintre Alfons Kaufmann de s’exprimer. Il pense qu’à cause du « salaire minimum record » de 4 000 francs, beaucoup de jeunes commenceraient tout de suite à travailler après leur scolarité obligatoire. Cela, sans faire de formation professionnelle. Et beaucoup d’entre eux se mettraient ensuite volontairement au chômage, car « ils pourraient vivre confortablement grâce à des allocations de chômage ». Ce qui aggraverait encore plus la pénurie de relève dans la construction. Rappelons tout simplement à notre cher peintre que la construction paie, aujourd’hui déjà, des salaires clairement supérieurs à 4 000 francs et que nous ne connaissons encore aucun jeune de 16 ans qui voudrait toucher le plus rapidement possible 4 000 francs et ne gagner toute sa vie durant que tout juste un peu plus.
Le « witz » suivant nous vient de Hannes Jaisli, le directeur adjoint de Gastro-Union, pour qui le nouveau salaire minimum entraînera la mort des bistrots. Mais ce n’est pas tout ! Les établissements qui ne mourraient pas devraient même supprimer, selon lui, des emplois et, donc, licencier. Ouh là là ! Il ne nous resterait alors plus que quelques rares bistrots pleins à craquer, qui ne pourraient même plus se payer de serveuse ?!
Et ainsi de suite, jusqu’aux prophéties qui nous annoncent que des pans entiers de l’industrie des cantons de Vaud et de Genève délocaliseraient leur production en France à cause des salaires minimums différents dans ce pays. Et les Suisses et les Suissesses deviendraient alors des frontaliers et des frontalières, et ils ne gagneraient plus que 11,60 francs de l’heure. Mais pourquoi alors n’ont-elles pas déjà délocalisé maintenant ces industries, les différences de salaire avec la Suisse sont déjà considérables, non ?
Personne ne demande de l’UDC qu’elle fasse dans la nuance. Que les grands chefs des arts et métiers brandissent l’argument soi-disant massue du chômage et de la pauvreté n’étonne de fait pas. Ils ne font là que dérouler un antique chapelet de plaintes selon lesquelles tout progrès menacerait l’économie et n’entraînerait que chômage et pauvreté. Or, le progrès s’est quand même imposé à ce jour, les arts et métiers n’ont pas encore disparu et leur organisation est toujours là…
Encore une remarque pour terminer : ces derniers temps, nombre d’entreprises qui avaient autrefois fulminé contre le salaire minimum de 4 000 francs viennent de l’introduire, comme Lidl, Bata, H&M. L’expérience prouve donc que ça marche. Mais l’USAM ne veut pas le voir, elle préfère laisser se développer une concurrence déloyale dans ses propres rangs plutôt que protéger les employeurs corrects. Mais ça, ce sont finalement ses oignons…