Il a dû se sentir longtemps très seul Karl-Josef Laumann, cet ancien syndicaliste d’IG-Metall, aujourd’hui, en tant que président national de la « Christlich-Demokratische Arbeitnehmerschaft », chef de file de l’aile chrétienne-sociale de la CDU (démocratie-chrétienne). Les dirigeants de son parti jugeaient en effet totalement inutile de faire figurer dans le catalogue de revendications de la CDU l’idée d’introduire un salaire minimum légal, portée par la gauche et les syndicats. Or, depuis la fin octobre, la situation a changé : la chancelière Merkel en personne - avec sa ministre du Travail, van der Leyen - est désormais favorable à un salaire plancher fixe, une « feste Lohnuntergrenze », autrement dit : un salaire minimum garanti par l’État. L’option actuellement retenue est de confier à une commission des partenaires sociaux la tâche d’édicter un tel salaire dans les branches où aucune négociation collective ou salariale n’a lieu et de l’adapter régulièrement. Il est actuellement question d’un salaire horaire d’à peine 7 euros pour la partie est du pays et de 8 euros pour la partie ouest. Mais le DGB, le pendant allemand de l’Union syndicale suisse (USS), demande au moins 8,50 euros pour l’ensemble du pays.
À ce revirement des plus remarquables auquel l’on a assisté aux étages supérieurs de la hiérarchie politique allemande, on trouve deux types de raisons :
- Plus l’on parle de salaires minimums et plus des recherches empiriques sont effectuées à leur sujet, plus il apparaît que les équations du style : « salaires minimums = plus de chômage », déduites à partir de constructions idéologiques purement néolibérales, reflètent uniquement l’opinion de leurs auteurs et non pas la réalité des faits. Ainsi, la ministre du Travail van der Leyen a également demandé à six instituts de recherche allemands d’étudier l’incidence économique des salaires minimums fixés. Et, grâce à une indiscrétion, on sait désormais qu’aucune de ces études n’a trouvé d’effets négatifs aux salaires minimums.
- Dans un pays où 7 % des salarié(e)s travaillent pour des salaires bruts inférieurs à 6 euros de l’heure (et cela, sans tenir compte des apprenti(e)s et des « travailleurs/travailleuses à 1 euro » !), c’est-à-dire pour un salaire mensuel brut de 1 000 euros, dans un tel pays règne de ce fait une misère sociale avec laquelle il n’est pas possible de gagner des élections fédérales. La chancelière, entre autres, doit bien le savoir.
Cette volte-face de la chancelière Merkel n’est-elle par conséquent qu’un réflexe pragmatique de survie de sa part ? Et parviendra-t-elle à convaincre les ailes frondeuses, libérale et conservatrice, de son parti ? À ce jour, nul ne le sait. Mais le feu vert donné par Angela Merkel à un salaire minimum légal en Allemagne représente un signe très fort.