Aschi Leuenberger était corps et âme un syndicaliste proche du peuple. « Je voulais être paysan », confia-t-il un jour dans un débat télévisé, mais Willi Ritschard l’invita, dans les années 70, à « venir labourer » les terres syndicales soleuroises. Mais même sans le tuyau donné par le grand magistrat socialiste, Aschi aurait eu le syndicalisme dans le sang. Qui l’a vu à l’œuvre vingt ans durant au sein de l’Union syndicale soleuroise, qui l’a côtoyé après 1993, d’abord comme vice-président puis, de 1996 à 2005, comme président du SEV et en tant que vice-président de l’USS toujours engageable à tous les niveaux, le sait bien : pour Aschi Leuenberger, le travail syndical était profession et vocation tout à la fois. Certes, ce fils d’ouvrier de condition modeste vivant à la campagne n’est pas né syndicaliste, mais la situation sociale vécue dans son enfance a déterminé son engagement politique. Il entame sa lutte inlassable en faveur de la justice sociale comme militant politique sur les bancs de l’Université et la poursuit une vie durant dans les rangs syndicaux et socialistes. Il savait de quoi il parlait. Il ne laissait pas d’impressionner où qu’il apparût, dès ses jeunes années. Aschi écoutait avec une grande attention, et savait toujours donner très vite une réponse politique fondée. Il s’entendait à transcrire en termes politiques les soucis et problèmes des gens. Il était proche des collègues syndiqués, des cheminots ou des vendeuses, des ouvriers ou des simples paysans et artisans. Fiable, crédible, franc, fidèle à ses principes tout en étant ouvert au compromis, un pragmatique combatif, quoi.
Ernst Leuenberger a dédié sa vie au progrès social. Partout où c’était nécessaire, il défendait les acquis de la social-démocratie et des syndicats en matière de sécurité sociale. Il pouvait aussi piquer des colères mémorables. Par exemple, lorsque dans un passé récent on s’est mis à discréditer les droits légitimes des défavorisés et à lancer la chasse aux pauvres dans les médias au prétexte de traquer les abus, alors que la fraude fiscale des grosses nuques est érigée en vertu. Il s’est insurgé contre la mise en question systématique de l’État social, de la responsabilité sociale et des tâches redistributives de l’État. Et de mettre en garde contre le temps politiquement révolu où la misère absolue, les dépendances de l’ordre patriarcal et l’arbitraire des actes de clémence de l’autorité étaient à l’ordre du jour. Fin connaisseur de l’histoire suisse, Aschi faisait volontiers des rapprochements historiques. À ses yeux, les enseignements du passé étaient la clé d’un avenir meilleur. Il a toujours insisté sur le fait que le progrès social et économique n’était pas réalisable aussi longtemps que les gens seraient plongés dans l’incertitude quant à leur sécurité sociale et à leur existence matérielle.
De toute sa capacité argumentative, il s’est constamment fait l’avocat du service public, de l’approvisionnement du pays en lignes de chemins de fer, en services postaux, en télécommunications et en électricité, en tant que parties intégrantes de la sécurité sociale et de la stabilité économique. C’est dire la fougue avec laquelle il s’éleva contre la folie des libéralisations et autres privatisations de régies étatiques fonctionnant parfaitement. En qualité de président du SEV et de conseiller national et aux États, il a contribué de manière déterminante à ranger le système ferroviaire helvétique parmi les plus performants du monde et à faire en sorte que les employés de chemins de fer – même s’ils doivent passer sous les fourches caudines d’une semi-libéralisation – peuvent travailler sous le régime d’une bonne convention collective de travail. Il a marqué de son empreinte les politiques des transports et sociale de la Suisse, en participant à la formulation des positions syndicales idoines et les faisant passer, dans toute la mesure du possible, sur le plan politique.
Aschi fut tout à la fois un tribun populaire n’ayant rien d’un donneur de leçons et un excellent ambassadeur des enjeux politiques, un syndicaliste et un homme politique de proximité. Les syndicats lui doivent beaucoup. Le souvenir de l’ami et compagnon de route, de son entrain et de ses principes nous donne la force de continuer à nous battre pour nos objectifs communs. Pour cela aussi, il reste pour nous inoubliable.