Les 100 ans de la Suva sont célébrés cette année un peu partout comme une réussite. Et à raison, estime Vasco Pedrina. Mais il s'agit aussi de ne pas tomber dans un piège stratégique. La Suva doit défricher de nouveaux champs d'action.
USS: Vasco, tu as eu affaire toute ta vie professionnelle à la Suva. Quels sont les principaux défis que la Suva doit affronter pour l'avenir ?
Vasco Pedrina: Tout d'abord, je voudrais souligner que la Suva est une réussite. Ceci est dû à son statut d'entreprise publique que les partenaires sociaux gèrent en responsabilité conjointe. Ajoutez à cela le bon mélange de produits, à savoir les trois domaines de la prévention, de l'assurance et de la réadaptation, ainsi que d'excellents employé(e)s qui sont vraiment fiers de travailler pour un tel service social. La Suva est très saine aujourd'hui, mais son avenir est en danger. Si les conditions-cadres juridiques de la Suva ne changent pas, le piège stratégique qui lui a été tendu se refermera sur elle.
Quel piège stratégique ?
Lors de la révision de 1984 de l'assurance-accidents, les syndicats et la bourgeoisie avaient conclu un accord qui a permis de couvrir tous les employés par l'assurance-accident et de continuer à garantir de très bonnes prestations, telles que des rentes représentant environ 90 % du dernier salaire, ce qui est l'un des chiffres les plus élevés d'Europe. En même temps, on s'était mis d'accord sur une expansion modérée des prestations. Mais le prix à payer a été trop élevé : à savoir limiter le monopole de la Suva au secteur secondaire, c'est-à-dire à l'industrie et l'artisanat. Le problème est qu'en 1984, le secteur secondaire employait environ 40 % des salarié(e)s ; aujourd'hui, il n'emploie plus qu'un peu plus de 20 %. Cela risque de saigner lentement la Suva. Une privatisation rampante de l'assurance-accident est en cours.
Mais la Suva n'assure-t-elle pas encore presque 2 millions de salarié(e)s ...
C'est exact, mais c'est moins de la moitié des salarié(e)s. Dans le passé, la Suva assurait 70 % et plus de tous les salarié(e)s. Le nombre absolu d'assuré(e)s ne diminuera pas rapidement tant que l'emploi dans son ensemble augmentera. Cependant, les bouleversements imminents, en partie dans le contexte de la numérisation, entraîneront une réduction. Je pourrais aussi parler du phénomène de l'externalisation, connu depuis des années. Si les entreprises industrielles sous-traitent le nettoyage ou la restauration, par exemple, ces salarié(e)s sont perdus pour la Suva. Conclusion : l'érosion du secteur secondaire met en danger la Suva. Le champ d'activité de la Suva doit être élargi. Nous avons abordé ce défi lors de la révision de la LAA de 2013/16, mais sans succès. Nous avons tout du moins pu empêcher les détériorations, comme la possibilité qui était prévue qu'une partie de l'administration publique puisse passer aux assurances privées.
Que suggères-tu pour sortir de ce piège stratégique ?
Une première proposition - que nous avions examinée plus en détail dans le cadre de la dernière révision - consistait à développer le champ d'activité de la Suva. La Suva pourrait couvrir toutes les administrations publiques ou la santé ou l'ensemble du commerce de gros et de détail. Deuxième proposition : introduire un " modèle allemand ". Cela voudrait dire : l'assurance-accidents obligatoire serait assignée à la SUVA, l'assurance complémentaire aux assureurs privés. Cependant, ce modèle ouvre la voie à des conflits de démarcation imprévisibles. Un autre modèle : la Suva offre également une assurance d'indemnités journalières-maladie. Je pense que la première voie est probablement la plus prometteuse.
Pourquoi le Parlement devrait-il soudainement céder ou, en d'autres termes, pourquoi le soutien aux assurances privées devrait-il soudainement s'affaiblir ?
Parce que les chiffres parlent d'eux-mêmes. Et en faveur de la Suva : pour chaque franc versé, 95 centimes reviennent aux assuré(e)s de la Suva. Seulement 5 centimes sont utilisés pour l'administration. Les assurances privées ne restituent que 80 à 85 centimes à l'assuré(e), au moins 15 centimes finissent dans leurs poches. C'est un argument fort en faveur de la Suva, mais cela ne suffira pas sur une question idéologique aussi vivement contestée. Cela m'amène au deuxième défi.
Qui serait ?
Pourquoi avons-nous réussi à fonder la Suva il y a 100 ans ? Non seulement à cause de la pression soutenue du mouvement ouvrier, mais aussi grâce à l'aile sociale des employeurs et des forces bourgeoises. Le conseiller national PLR, et plus tard conseiller fédéral, Ludwig Forrer, en a été le moteur. Malheureusement, le néolibéralisme et l'UDC ont presque étouffé l'aile sociale des associations patronales, du PLR et du PDC. Cela doit changer. Pour nous, cela signifie que les syndicats et les forces politiques progressistes doivent augmenter massivement la pression sociale d'en bas, afin que les entrepreneurs et les partis de centre-droite prennent également davantage conscience de la nécessité de former une aile sociale au sein de leurs rangs.
Et le troisième défi ?
Ce sont des questions factuelles. Premièrement, la catastrophe de l'amiante n'est toujours pas résolue. La SUVA doit encore faire face à de nombreuses tâches, telles que la prévention et la charge qui doit être répartie plus équitablement entre les secteurs, ou la création du nouveau fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante. Il faut toutefois rappeler que la Suva - après les turbulences des années 70 et 80 - a accompli beaucoup de choses et est aujourd'hui un modèle en Europe. La deuxième question est la bombe à retardement des maladies professionnelles psychosociales. C'est surtout la prévention qui est mal réglementée à cet égard ; il serait bienvenu que ce soit de la compétence de la Suva . Troisième mot-clé : la numérisation. Prenons par exemple le différend avec UBER sur le statut d'indépendant ou de salarié des chauffeurs de taxi : la SUVA devrait également être responsable de ces employés, sans autre forme de procès.
Cette année, la Suva fête ses 100 ans. Une opportunité de relever ces défis ?
Absolument. Les syndicats ne veulent pas seulement célébrer. Nous profiterons des célébrations pour souligner que la Suva ne doit pas être un modèle en voie de disparition progressive, mais qu'elle doit se libérer du piège stratégique.
Vasco Pedrina
- Vasco Pedrina, coprésident de l'USS de 1994 à 1998, de la FOBB puis du SIB de 1991 à 2004 et coprésident d'Unia 2004 à 2006 avait déjà travaillé avec la Suva dans les années 1980 en tant que secrétaire de la Commission de l'USS pour la sécurité et la protection de la santé au travail. Vasco Pedrina a été le moteur de la campagne pour l'interdiction de l'amiante. De 2007 à fin 2016, il a été membre du Conseil d'administration de la Suva, dont les sept dernières années en tant que vice-président.