La situation d’urgence sanitaire actuelle le démontre sans aucune équivoque : la santé n’est pas une affaire privée. Il faut maintenant que cela s’applique aussi globalement au financement du secteur suisse de la santé.
La pandémie liée au coronavirus ne va peut-être pas avoir une grande incidence sur les prochaines primes-maladie. En effet, la presque totalité des coûts supplémentaires induits par le COVID-19 concerne le domaine hospitalier stationnaire cofinancé par les cantons et qu’en même temps, les traitements en ambulatoire, domaine entièrement financé par les primes, se sont limités pendant des semaines aux cas urgents. Toutefois, si des coûts supplémentaires devaient en découler pour les caisses-maladie, ce n’est, selon leurs propres dires, pas un problème, car ils auraient de fait déjà constitué précisément à cet effet les réserves bien garnies qui dépassent largement le minimum légal.
Et nous nous retrouvons ainsi au cœur du problème : les réserves sont elles aussi intégralement financées par les primes-maladie. Si elles sont exagérément dissoutes, cela veut tout simplement dire qu’un vendeur de chaussures devra participer financièrement dans une mesure plus grande à la gestion de la crise du coronavirus qu’une avocate d’affaires. Et, face au virus, nous serions- une nouvelle fois – pas tous égaux.
Un nouveau mode de financement
La situation actuelle montre bien que le financement de notre système de santé est non seulement antisocial, mais qu’il est même préjudiciable pour la santé publique. Lorsqu’une personne qui présente des symptômes du COVID-19 ne se fait pas tester parce qu’elle ne veut ou ne peut pas payer elle-même ce test (par exemple en cas de franchise élevée), cela coûtera très vite bien plus cher à l’ensemble de la société, car le virus aura le temps de se propager bien davantage.
À court terme, la première solution s’impose d’elle-même : il faut que les traitements liés au COVID-19 soient pris en charge par les fonds publics et qu’ils soient surtout exemptés de la participation directe aux coûts par les assuré-e-s (quote-part). Mais ça ne suffira pas : le problème financier dans le système suisse de santé ne s’appelle pas COVID-19. C’est surtout le fait que les assuré-e-s doivent d’une part s’acquitter d’un impôt individuel (la prime) et d’autre part payer encore de leur propre poche plus que dans tout autre pays de l’OCDE (franchise, quote-part, médicaments et traitements exclus du catalogue de prestations). La crise sanitaire actuelle devrait nous ouvrir enfin les yeux et nous inciter à transformer de fond en comble le financement de notre système de santé. L’initiative pour l’allègement des primes-maladie déposée en janvier par le PS Suisse et l’USS est la prochaine occasion de mettre en route cette transformation. Son objectif : aucun ménage ne devrait consacrer plus de 10 % de son revenu disponible aux primes-maladie. Le Conseil fédéral doit soutenir cet « objectif 10 % » et recommander rapidement le oui à l’initiative.
Repenser l’indemnisation des coûts
Une fois que les moyens sont prélevés – soit actuellement environ 80 milliards de francs par année –, on pourrait s’attendre à ce qu’ils soient utilisés à bon escient. Ce n’est pourtant pas le cas : le système actuel d’indemnisation des coûts (points Tarmed pour l’ambulatoire et forfaits par cas SwissDRG pou le domaine hospitalier) entraîne toute une série d’incitations négatives qui, à leur tour, conduisent à la fois à des pénuries et à une surabondance de l’offre. L’offre excédentaire coûte cher, parce qu’elle entraîne des interventions inutiles et donc des frais qui pourraient être évités. La pénurie aussi coûte cher : des interventions nécessaires n’ont pas lieu, avec pour conséquence des frais ultérieurs potentiellement encore bien plus élevés.
Là aussi, la crise liée au coronavirus nous apprend beaucoup, tout particulièrement en ce qui concerne la pénurie de l’offre. Ainsi, le plan pandémie influenza – souvent cité mais malheureusement peu pris en compte avant cette crise – exposait en 2018 déjà dans le détail où il fallait quelles réserves de matériel de protection, de médicaments et de places de traitement en cas de situation grave. Mais le système actuel d’indemnisation n’est pas fait pour de telles mesures de prévention : les caisses-maladie n’ont aucun intérêt à porter les coûts supplémentaires que cela engendrerait (elles devraient augmenter les primes et perdraient des assuré-e-s) et les hôpitaux ne sont pas en mesure de les assumer, car ils ne sont pas inclus dans les forfaits par cas. Conclusion : il faut non seulement un financement public du système de santé, mais également un système d’indemnisation public, c’est-à-dire centralisé, assorti d’une définition des prestations qu’il s’agit d’indemniser. Ce qui voudrait dire, par exemple : plus de stocks de masques de protection et moins de prothèses de hanches.