Après avoir durci sans arrêt la législation sur les étrangers et les étrangères en pénalisant les bénéficiaires de l’aide sociale, le Conseil fédéral veut aujourd’hui carrément raboter l’aide sociale pour tous les ressortissant-e-s d’États tiers. Avec cette mesure, il vide de sa substance le droit constitutionnel à une aide en situation de détresse et crée une société à deux vitesses indigne. L’Union syndicale suisse (USS) combattra ce projet.
Les ressortissant-e-s d’États tiers n’auront droit qu’à une aide sociale réduite pendant les trois années suivant l’obtention d’une autorisation de séjour : c’est la modification de la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration (LEI) que le Conseil fédéral a mise en consultation en janvier. Ce durcissement est vanté comme étant une mesure d’économie et un moyen de réduire l’attractivité de la Suisse en tant que pays d’immigration. En outre, cette réduction de l’aide sociale devrait inciter les immigré-e-s à s’intégrer dans le monde du travail. Quel cynisme ! L’intégration professionnelle n’est pas qu’une simple question de bonne volonté des personnes concernées. Elle suppose avant tout l’existence d’un marché de l’emploi accessible aux personnes qui n’ont pas de passeport suisse. Avec sa proposition, le Conseil fédéral s’accommode de la violation de deux principes constitutionnels : l’article 8, alinéa 1 stipule l’égalité devant la loi de « tous les êtres humains » et l’article 12, le droit d’obtenir de l’aide dans des situations de détresse.
Le projet de modification mis en consultation atteint un nouveau palier dans une voie vers toujours plus de discriminations envers les personnes touchées par la pauvreté. La révision de la loi sur les étrangers (LEtr) et la LEI ont déjà rendu plus précaire la vie dans notre pays des personnes dépourvues d’un passeport suisse. Auparavant, une autorisation d’établissement ne pouvait être retirée que dans des cas exceptionnels et ne le pouvait plus du tout après 15 années de séjour. Aujourd’hui, le recours à l’aide sociale peut conduire à une expulsion de la Suisse ou à un déclassement de l’autorisation d’établissement, indépendamment de la durée globale du séjour. Bien sûr, il faut en général que la personne à l’aide sociale en porte la « responsabilité personnelle » pour qu’elle puisse faire l’objet d’une sanction. Mais le Secrétariat d’État aux migrations (SEM) en laisse l’exécution aux cantons. Et ceux-ci interprètent différemment – et parfois très librement – le critère de la responsabilité personnelle. De plus, depuis 2021, la prolongation des autorisations de séjour des personnes à l’aide sociale nécessite l’accord du SEM. La pauvreté est toujours plus criminalisée. Ces durcissements de la législation ont pour conséquence que bon nombre de personnes touchées par la pauvreté et qui n’ont pas de passeport suisse renoncent à l’aide sociale afin de ne pas mettre en péril le droit à séjourner ou à s’établir en Suisse.
La pandémie du coronavirus a clairement mis en lumière les conséquences de cette politique inhumaine. En effet, de nombreux migrant-e-s travaillent dans des branches particulièrement touchées par les fermetures dues à la pandémie. Et les indemnités de chômage partiel, qui couvraient seulement 80 % du salaire jusqu’à la fin 2020 encore, ne permettaient pas aux petits revenus de vivre décemment. Par peur de mettre en danger la sécurité de leur séjour en plus de leur sécurité financière, beaucoup de ces personnes ont renoncé à faire valoir leur droit à une aide.
Le fait que le Conseil fédéral mette en consultation de nouvelles mesures visant à restreindre le droit à l’aide sociale pour les ressortissant-e-s de pays tiers est une véritable gifle pour des personnes qui ont été les plus durement frappées par la pandémie : tous ces gens qui n’ont pas eu le loisir de faire du télétravail avec un emploi sûr pendant ces deux dernières années, mais qui étaient en première ligne dans le commerce de détail, la secteur de la santé ou des nettoyages pour contribuer à surmonter cette crise ; toutes ces personnes qui ont d’abord été touchées par des fermetures d’entreprises avant d’être les premières à retourner au travail pour satisfaire les besoins d’autrui dans les restaurants ou les salons de coiffure. L’USS s'opposera résolument à cette mesure et à d’autres visant à criminaliser les pauvres et à créer une société à deux vitesses : le droit à l’égalité des droits et à l’aide de l’État dans les situations de détresse ne doit pas être bafoué par la législation sur les étrangers et les étrangères.