Mais l’initiative n’a pas été – et de loin - la débâcle que l’on pourrait croire de prime abord. Au contraire, elle a eu un impact positif sur la politique du Conseil fédéral - qui dut mettre sur pied une « task force places d’apprentissage 2003 » pour ne pas se trouver à court d’arguments – et sur la révision de la loi fédérale sur la formation professionnelle. Mais elle a surtout eu une influence bénéfique sur les actions des cantons en faveur des places d’apprentissage. Et, 6 ans après le vote populaire, son influence est toujours là.
Une influence évidente
On le voit avec la multiplication des fonds pour la formation professionnelle dans les cantons. Ce modèle de répartition solidaire des frais de formation entre toutes les entreprises, et non pas entre les seules entreprises formatrices, avait fait ses preuves dans les cantons de Genève, Fribourg et Neuchâtel. Or, la lipa s’appuyait sur ce modèle qui, depuis lors, a essaimé dans tout le pays, malgré le rejet de l’initiative. Depuis 2003, cinq nouveaux cantons se sont en effet dotés d’un tel instrument : Valais (2007), Jura (2007), Zurich (2008), ainsi que Tessin et Vaud (2009). À chaque fois, les parlements cantonaux, tous à majorité bourgeoise, ont été convaincus par l’efficacité du fonds cantonal auquel cotisent toutes les entreprises et dont les montants sont répartis entre celles qui forment des jeunes. De quoi encourager les entreprises « resquilleuses » (4 sur 5 !) à en faire autant.
De plus, c’est un vote populaire qui a adoubé le principe du fonds défendu par la lipa : au Jura et dans le canton de Zurich, le fonds a même été plébiscité par près de 60% des votant(e)s, suite à des référendums lancés par des associations patronales jusqu’au-boutistes. Une erreur que les patrons vaudois se sont empressés de ne pas commettre : avant même de connaître le résultat des urnes jurassiennes et zurichoises, ils s’étaient déclarés favorables au modèle préconisé par l’initiative et, lors des derniers débats parlementaires, plusieurs députés représentant les milieux patronaux ont multiplié les louanges à l’égard du fonds cantonal, parlant de projet « utile » et « encourageant l’équité entre les entreprises formatrices et non formatrices».
Encore du pain sur la planche
Cependant, tous les cantons n’ont pas encore été gagnés à la cause des fonds pour la formation professionnelle. En effet, dans plusieurs cantons où syndicats et parti socialiste demandent la création d’un tel instrument (BS, SO, SG), les partis bourgeois mettent les pieds au mur, parfois pour des raisons purement idéologiques - malgré les exemples probants chez leurs voisins -, parfois parce qu’ils préfèrent privilégier les fonds de branche. Ces derniers se basent certes sur le même principe de financement solidaire que les fonds cantonaux, mais ils ont le défaut d’être limités à une seule branche - en général une branche où la formation duale est déjà bien développée - et de ne couvrir que 8 % des salarié(e)s. Or, un fonds cantonal a l’avantage d’encourager la formation dans toutes les branches, y compris dans celles qui ont un fort potentiel, mais pas de tradition formatrice.
Cet épilogue (provisoire) prouve que l’initiative des jeunes en faveur de la formation professionnelle a été clairement un succès et que la mobilisation syndicale en valait la peine, même si on pouvait penser plutôt le contraire à l’heure du verdict des urnes. Il montre que l’engagement des syndicats en faveur de la création de places d’apprentissage a été payant sur le long terme et qu’une défaite dans les urnes ne doit jamais être un prétexte à baisser les bras. Six ans après la lipa, la hausse attendue du chômage des jeunes doit nous inciter à poursuivre nos efforts. Les fonds cantonaux devront notamment se montrer à la hauteur des enjeux de la crise : ils devront prouver qu’ils sont capables de débloquer des moyens en faveur de la création de places d’apprentissage alors que les entreprises licencient.