Les revendications essentielles de la Grève des femmes* restent toujours lettre morte, deux ans plus tard. Deux jours avant le débat au Conseil national sur l’AVS, le bilan est misérable : les femmes professionnellement actives continuent à subir le manque de temps, d’argent et de respect. Les salaires plus bas, le travail à temps partiel et l’activité non rémunérée sont à l’origine de la situation scandaleuse des rentes pour les femmes – et on ne voit pas le bout du tunnel. De récents calculs de l’Union syndicale suisse (USS) le montrent : si les choses poursuivent leur cours actuel, cette lacune n’aura disparu que dans 80 ans ! Et ce n’est pas tout : le projet AVS 21 est une réforme sur le dos des femmes. Le relèvement de l’âge de la retraite des femmes sera par conséquent farouchement combattu, dans les urnes comme dans la rue. Les femmes en ont assez des belles promesses. Leur patience est à bout.
La discrimination subie par les femmes pendant leur vie professionnelle, du fait de salaires plus bas ou d’une activité exercée à temps partiel, s’accentue encore à la retraite. L’écart des rentes est indéniable. Les femmes parties à la retraite en 2019 ont perçu de leur caisse de pensions une rente moyenne de 1160 francs par mois, contre 2144 francs pour les hommes. Seule l’AVS permet une répartition plus équitable, dans la mesure où les tâches éducatives ou d’assistance donnent lieu à des bonifications. Mais l’écart des rentes reste globalement d’un tiers.
Dans les faits, de nombreuses femmes dépendent donc encore des hommes à la retraite. Leurs faibles rentes ne suffisent pas pour vivre. L’égalité dans la prévoyance vieillesse piétine : au rythme actuel, l’écart des rentes ne se résorbera qu’en 2100. Dans 80 ans ! Et avec AVS 21, la situation des rentes des femmes va encore se dégrader.
L’AVS est l’acquis social par excellence du 20e siècle. Elle a libéré les individus du risque de pauvreté à la retraite. L’AVS doit par conséquent rester au 21e siècle un moteur pour l’égalité. Car elle seule prend en compte, pour le calcul des rentes, le travail de soins et d’assistance non rémunéré dont les femmes accomplissent la plus grande partie. Il faut par conséquent renforcer l’AVS, et l’initiative populaire pour une 13e rente AVS constitue un grand pas dans la bonne direction.
À la conférence de presse organisée aujourd’hui, des femmes syndicalistes et des représentantes de la CSSS-CN ont tiré un bilan, deux jours avant le débat décisif du Conseil national sur AVS 21 et une semaine avant le 14 juin. Les intervenantes ont signalé où des avancées s’imposent en matière d’égalité, elles ont rappelé que l’écart des rentes aux dépens des femmes n’est plus tolérable et expliqué pourquoi elles mobilisent en faveur d’actions le 14 juin 2021 :
Vania Alleva, présidente d’Unia, a été on ne peut plus claire : « alors que beaucoup de femmes ont déjà des rentes misérables, il est question aujourd’hui d’un relèvement de l’âge de la retraite des femmes, qui reviendrait à réduire encore de telles rentes. AVS 21 ferme les yeux sur les problèmes existants, et n’en résout aucun. Au contraire, toute la réforme est prévue sur le dos des femmes et s’avère inacceptable. Nous allons donc combattre tout relèvement de l’âge de la retraite des femmes. »
Mattea Meyer, conseillère nationale et coprésidente du PS Suisse, s’est montrée déçue : « au lieu d’introduire enfin des améliorations, la majorité bourgeoise du Parlement ne trouve rien de mieux à faire que d’imposer un démantèlement des rentes. C’est un vrai scandale, deux ans après la grève des femmes ! »
Léonore Porchet, conseillère nationale verte et vice-présidente de Travail.Suisse, a rappelé qu’« à lui seul, le relèvement de l’âge de la retraite des femmes fera économiser à l’AVS 10 milliards de francs entre 2022 et 2031. Or les femmes accomplissent une part au moins aussi élevée, sinon davantage, du travail rémunéré ou bénévole que les hommes, et subissent des discriminations tout au long de leur carrière professionnelle. »
Katharina Prelicz-Huber, conseillère nationale verte et présidente du SSP, a pris un exemple édifiant : « une éducatrice de la petite enfance gagne en début de carrière entre 4000 et 4200 francs, et après dix ans d’expérience entre 4500 et 4700 francs par mois. La seule raison de ces bas salaires tient à ce qu’un tel travail est accompli par des femmes. Par contre, un gestionnaire de risque de crédit gagne en début de carrière 8750 francs. Si l’éducatrice de la petite enfance a encore ses propres enfants et ne travaille qu’à temps partiel, il lui faudra se contenter d’une retraite de misère, alors que le manager aura une rente confortable. Une telle situation est scandaleuse : il est urgent de revaloriser les professions de soins et d’assistance ! »
Gabriela Medici, première secrétaire adjointe de l’USS, a rappelé que « l’écart de rente actuel reflète les moins bonnes perspectives de carrière des femmes d’hier. Or tant que nous ne réformons pas la prévoyance vieillesse, les carrières typiquement féminines aboutiront à des rentes misérables. Concrètement, les femmes continuent à dépendre des hommes, sans qui leurs faibles rentes ne leur permettent pas de vivre. »
Patrizia Mordini, coprésidente de la commission des femmes de l’USS, a souligné qu’« au vu du creusement des inégalités salariales, il est irrespectueux, indigne et cynique de la part du Parlement d’augmenter l’âge de la retraite des femmes ! Notre colère, la colère des femmes lésées est bien réelle ! Nous allons donner libre cours à cette colère le 14 juin, lors d’actions bruyantes menées à 15h19 – moment symbolique de la journée à partir duquel les femmes travaillent gratuitement ! En 2019, ce moment symbolique avait eu lieu à 15h24. »