Égalité des chances entre les femmes et les hommes en Suisse

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Communiqués de presse
Écrit par Regula Bühlmann

La Suisse n’a pas la réputation d’être une pionnière en matière des droits des femmes. On s’étonne donc que le Conseil fédéral soit si positif sur ce sujet dans son rapport sur l’Agenda 2030.

La Suisse n’a pas la réputation d’être une pionnière en matière des droits des femmes. On s’étonne donc que le Conseil fédéral soit si positif sur ce sujet dans son rapport sur l’Agenda 2030. Le chapitre 5 ne contient pratiquement que des bonnes nouvelles et tous les indicateurs semblent être au vert. À y regarder de plus près, la situation n’est pourtant pas aussi rose que notre gouvernement aimerait le faire croire.


En détail:

Égalité salariale (ODD 5.1, 8.5 et 5.c)

Le Conseil fédéral se félicite de la diminution des inégalités salariales dans le secteur privé. C’est effectivement un progrès, qui doit beaucoup à la lutte des syndicats pour relever le niveau des salaires minimaux et améliorer les conditions de travail des emplois faiblement rémunérés. Mais en mesurant l’écart de salaire médian et en la comparant aux chiffres internationaux, le Conseil fédéral donne de la Suisse une image flatteuse qui ne correspond malheureusement pas à la réalité. Les statistiques internationales se basent en effet sur l’écart de salaire moyen, nettement plus élevé. On mélange ici les pommes avec les poires. Selon l’Office européen de la statistique EU-ROSTAT, l’écart salarial moyen en Suisse, qui était de 17 % en 2016, dépasse même la moyenne européenne située à 16.2 %.

Ces chiffres ne disent encore rien de la discrimination salariale. Selon les objectifs de développement durable (ODD), celle-ci devra avoir disparu à l’horizon de 2030, les femmes et les hommes gagnant alors le même salaire pour un travail équivalent. Au train où vont les choses, ce but ne sera pas atteint. L’écart salarial inexpliqué qui est l’indice de la discrimination se maintient depuis des années aux alentours de 7 à 9 %. Cela signifie que le salaire des femmes est inférieur de plus de 7 % à celui des hommes du même âge dont la formation, le niveau de qualification et la position hiérarchique sont équivalents.

La Suisse doit se doter d’une loi efficace permettant aux autorités fédérales d’effectuer des contrôles aléatoires dans les entreprises et de sanctionner celles qui se dérobent à leurs responsabilités en matière d’égalité. La balle est actuellement dans le camp du Parlement, auquel la révision de la loi sur l’égalité offre l’opportunité d’agir.

Un salaire minimum harmonisé dans tout le pays est également requis, afin de garantir les moyens d’existence des salariés travaillant dans le secteur précaire. La Suisse est l’un des 11 pays européens sur 35 à ne pas avoir mis en place une telle mesure.

Soins et travaux domestiques non rémunérés (ODD 5.4)

Concernant la cible 5.4, le Conseil fédéral mentionne avec satisfaction un léger recul de la charge de travail moyenne incluant l’activité professionnelle et les tâches domestiques et familiales. Ce progrès est bien sûr réjouissant. Mais il est loin d’être suffisant. Nous nous heurtons actuellement en Suisse à des structures qui rendent impossible le partage des tâches et des responsabilités que préconise l’Agenda 2030 pour le travail de soin et d’assistance (care) non rémunéré. Le modèle néo-traditionnel dans lequel l’homme travaille à plein temps et la femme à temps (très) partiel coûte actuellement moins cher aux familles qu’un véritable partage des responsabilités impliquant deux temps partiels relativement élevés. La Suisse doit donc de toute urgence développer des services publics dans le domaine du care : il s’agit de financer via les recettes fiscales des offres d’accueil pour la petite enfance et les personnes âgées dépendantes, et de veiller à ce qu’elles répondent aux besoins tant qualitatifs que quantitatifs. Ce n’est qu’alors que la Suisse aura mérité les bons points que le Conseil fédéral veut lui décerner prématurément.

Un travail décent et une meilleure protection des droits des travailleuses et des travailleurs (ODD 8.5 et 8.8)

Dans ce domaine, le Conseil fédéral a recours à une astuce pitoyable pour embellir la réalité : il se contente de choisir des indicateurs comme le taux d’activité des femmes (en augmentation) et celui des accidents professionnels (en diminution) lui permettant de cocher des cases. Mais la dignité des conditions de travail et la protection des droits des travailleuses et des travailleurs ne se résument pas à ces chiffres. En parlant de droits, la Suisse accuse un grand retard dans ce domaine : les licenciements abusifs, antisyndicaux et discriminatoires y sont monnaie courante. Les dispositions légales en matière de licenciement ne sont conformes ni au droit de l’OIT, ni à la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH).

Le Conseil fédéral ne dit rien non plus au sujet du secteur des emplois précaires. Le travail domes-tique, principalement effectué par des femmes et souvent des migrantes dites pendulaires, continue à échapper aux dispositions de la loi sur le travail. Il s’ensuit des conditions misérables et des durées de travail explosant le cadre légal, le tout pour des salaires minuscules. Le Conseil fédéral refuse pourtant de réglementer ce secteur et de lui conférer un minimum de protection – entre autres pour des raisons de coûts.

La situation est particulièrement dramatique pour les travailleuses et les travailleurs sans papiers, qui peuvent se retrouver en situation de travail forcé et sont constamment à la merci des abus. La Suisse ne peut pas criminaliser encore davantage ces personnes, mais doit leur reconnaître des droits en matière de travail, et, si possible, régulariser leur statut. Le canton de Genève est à ce titre un modèle à suivre pour toute la Suisse.

Prendre l’Agenda 2030 au sérieux exige de ne pas se voiler la face, mais de dresser un état des lieux minutieux de la situation actuelle. C’est à cela que s’emploie la Plateforme Agenda 2030 en publiant son propre rapport. Nous attendons du Conseil fédéral qu’il en fasse autant, et qu’il suive nos recommandations. Pour que nous ayons vraiment des bonnes raisons de nous réjouir en 2030, lorsque l’égalité des chances sera devenue réalité.

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