Le Conseil fédéral et les cantons prétendent que la présente réforme de l'imposition des entreprises, la RIE III, serait équilibrée. Et ils tressent les louanges des différents instruments destinés à économiser des impôts qu'elle contient. Ce qu'ils ne disent pas ? Qu'il n'y a pas si longtemps, nombre d'entre eux critiquaient plusieurs mesures proposées ou les rejetaient carrément. Petite histoire de girouettes...
Presque chaque semaine, le ministre des Finances, Ueli Maurer fait campagne dans les médias pour la RIE III. Outre l'intox habituelle, selon laquelle, des impôts sur les entreprises plus bas en vaudraient finalement la peine et des menaces effrontées qui annoncent en cas de non la mise en œuvre immédiate de programmes d'austérité, M. Maurer se complaît à vanter les instruments qui permettront d'économiser des impôts grâce à la RIE III. Sur ce dernier point, cette attitude n'étonne pas, car nous nous souvenons que dans une interview accordée en avril 2016, il défendait les affaires peu reluisantes réalisées en offshore, affirmant que ces opportunités devaient exister.
Mais il est plus intéressant de noter que M. Maurer se contredit lui-même lorsqu'il fait l'éloge des instruments d'optimisation fiscale de la RIE III. De fait, lors du débat au Conseil national, il a par exemple combattu des réductions d'impôts formulées de manière trop vague en matière d'impôt sur le capital. Selon lui, il n'y aurait pas de base constitutionnelle pour octroyer de telles réductions aussi sur le capital propre servant à des prêts faits à des entreprises du même groupe. En s'appuyant sur cet argument, il demandait au Conseil national de rejeter une proposition allant dans ce sens. En vain. Cela n'empêche toutefois pas aujourd'hui M. Maurer de présenter la RIE III comme une réforme équilibrée.
Notre conseiller fédéral est aussi en pleine contradiction au sujet de la super-déduction des frais de recherche et développement (R&D). Nous savons qu'avec elle, les entreprises pourront déduire non pas simplement 100 % de ces frais, mais jusqu'à 150 % ! C'est comme si un pendulaire pouvait déduire de son assiette fiscale une fois et demie le prix de son abonnement général ou ses frais de déplacements. En automne 2014, une chose était claire pour notre conseiller fédéral : " Un allégement supplémentaire supérieur aux dépenses irait de pair avec une baisse importante des recettes et n'est pas nécessaire actuellement du point de vue de la place économique " (trad. USS).
Aujourd'hui, ces déclarations sont passées à la poubelle. Dans ses explications sur la votation, le Conseil fédéral célèbre la méga-déduction des frais de R&D : " Il s'agit par-là d'inciter à créer en Suisse des emplois d'avenir. " Mais on n'y parle pas du fait que, pour le choix d'un site en vue d'activités de recherche, d'autres critères sont beaucoup plus importants que le taux de l'impôt, comme par exemple le potentiel de main-d'œuvre qualifiée d'une région, ou la proximité d'universités et d'autres instituts de recherche.
Mais le conseiller fédéral Maurer n'est pas le seul à se contredire. Les cantons aussi virent radicalement de bord. Pendant la procédure de consultation sur la RIE III, ils ont rejeté l'introduction d'un impôt sur le bénéfice corrigé des intérêts. À l'époque ils ont écrit que cet instrument pourrait avoir pour effet des pertes fiscales impossibles à supporter, tant à la Confédération que dans les cantons. Aujourd'hui, ils font l'éloge de la RIE III qu'ils disent " équilibrée " et prétendent que seuls quelques rares cantons useraient de cet instrument. Qu'avec Zurich, Bâle-Ville et Zoug, trois cantons économiquement forts aient déjà annoncé qu'ils introduiraient cet instrument, que d'autres les suivent déjà, forçant les autres à faire de même, personne n'en pipe mot.
Toujours est-il que les cantons reconnaissent que la RIE III entraînera des pertes fiscales. De nombreux cantons les ont déjà chiffrées. On trouve un tableau d'ensemble incomplet sur le site de l'Administration fédérale des contributions (en allemand seulement). Dans l'ensemble, ce seront au moins 3 milliards qui vont manquer. Et ils ne veulent pas dire qui devra éponger ces pertes. Mais ce camouflage statistique s'érode. À la question de savoir s'il peut garantir que ce ne seront pas les contribuables ordinaires qui devront passer à la caisse, le responsable du département genevois de la sécurité et de l'économie, Pierre Maudet, a répondu " Non " lors d'une interview donnée au début de la semaine à la Radio Suisse romande. Les citoyen(ne)s feraient donc bien de prendre cet avertissement au sérieux et de dire NON le 12 février à la RIE III.