Réagissant à la dénonciation, par l’Union européenne (UE), de la sous-enchère fiscale pratiquée en Suisse, le gouvernement genevois prévoit d’offrir aux entreprises un cadeau de 457 millions de francs. Il voudrait appliquer à l’avenir un taux d’imposition unique de 13 % à toutes les entreprises ayant leur siège dans le canton. Ceux de Bâle et Zurich lorgnent aussi vers des baisses d’impôts radicales. Il faut mettre le holà à un tel dumping, car c’est la population qui va passer à la caisse.
Dans notre pays, les entreprises étrangères qui réalisent l’essentiel de leur chiffre d’affaires au-delà de nos frontières profitent d’un climat fiscal très doux, sans concurrence aucune au plan international. Et elles paient aussi moins d’impôts que celles qui font leurs affaires d’abord en Suisse. La grande majorité des entreprises paient en Suisse des impôts de près de 23 %, mais, selon le canton, le taux réservé à une petite minorité est de 11 % seulement. Il n’y a qu’Hong Kong où les taux sont encore plus bas.
L’UE estime qu’avec ce système, la Suisse pratique une concurrence déloyale. Elle exige donc que nous renoncions à nos réglementations de droit fiscal spéciales et que nous imposions avec un même taux les bénéfices réalisés à l’étranger et en Suisse. Le canton de Genève profite grandement de cette politique. Selon une étude de l’Institut universitaire lausannois Créa présentée en octobre, on y trouve 945 entreprises bénéficiant d’un statut fiscal spécial, auxquelles il faut encore ajouter 136 autres qui leur sont liées. Principalement actives dans le négoce – surtout de matières premières –, ces firmes (20 000 employé(e)s) paient environ un milliard d’impôts sur les bénéfices au canton et aux communes, ainsi que 640 millions à la Confédération.
Pour qu’elles n’émigrent pas, le gouvernement genevois entend baisser de manière générale à 13 % le taux de l’impôt qui leur est appliqué ; cela, aussi pour les entreprises suisses, qui paient actuellement un taux de 24 %. Cette baisse, dont profiterait la grande partie des entreprises genevoises, entraînerait selon l’étude une perte fiscale de 457 millions de francs pour le canton et les communes. Pour la compenser, Genève demande le soutien de la Confédération.
Effrayés par l’étude genevoise, les cantons de Bâle et de Zurich ont aussi pris les devants et évoqué à haute voix une baisse de leurs impôts sur les entreprises. Le gouvernement zurichois chiffre les pertes fiscales que représenterait pour lui l’abolition des réglementations fiscales spéciales à 350 millions de francs, le gouvernement bâlois n’articulant pas de chiffres pour les siennes.
Des milliards de francs de cadeaux fiscaux inutiles
L’Union syndicale suisse (USS) dénonce ces projets. S’ils devaient devenir réalité et faire école, les pertes fiscales se monteraient à plusieurs milliards de francs pour l’ensemble du pays. La Suisse ne peut pas se permettre de baisser de manière générale les impôts sur les entreprises. D’un point de vue économique, ce serait en effet une absurdité, car les centres s’en trouveraient affaiblis, les services publics démantelés et les infrastructures laissées à l’abandon. Aujourd’hui déjà, nombre de cantons préparent des mesures d’austérité. Il est donc évident que la contribution des entreprises au financement des services publics ne doit plus diminuer. Sinon, la population devra en payer la facture avec des hausses de ses impôts et/ou une détérioration des services publics.
Une étude de l’USS montre que la Suisse peut renoncer aux baisses d’impôts générales que prône aussi economiesuisse. Seul Genève et vraisemblablement aussi Vaud et Bâle-Ville seraient fortement touchés. Mais, dans l’ensemble, les conséquences d’une adaptation de la Suisse aux exigences de l’UE resteraient supportables, car un nombre limité d’entreprises quitteraient notre pays. En effet, même en l’absence de taux spéciaux bas, l’imposition des entreprises en Suisse reste faible en comparaison mondiale. Pour Genève et éventuellement Vaud et Bâle-Ville, à qui l’abandon de taux de dumping ferait perdre une partie de leur substance fiscale, des solutions devraient être trouvées dans le cadre de la péréquation financière.
Vu l’insuffisance des données concernant l’ampleur et l’importance de la faible imposition des sociétés à but spécifique, la Confédération doit d’abord procéder à une analyse approfondie. C’est seulement après que l’on pourra décider des mesures à prendre.
Plus d’équité, mais pas plus de sous-enchère fiscale
Il est cependant d’ores et déjà clair aujourd’hui que la Suisse doit plutôt participer aux efforts déployés au plan international pour instaurer des systèmes fiscaux équitables, au lieu d’entraîner l’imposition des entreprises dans une spirale à la baisse. Tous les pays ont intérêt à cette équité. Le nôtre aussi, car il est lui-même victime de la sous-enchère fiscale pratiquée par d’autres. Chacun connaît la faible imposition des biens immatériels dans les pays du Benelux, où l’impôt sur les bénéfices appliqué aux produits des licences et des patentes va de 0 à 7 %, quand il peut se monter à 3% pour d’autres revenus.