Le franc est totalement hors contrôle depuis que la Banque nationale suisse (BNS) a aboli le taux de change plancher avec l’euro. Le cours correct devrait être de 1,30 franc pour 1 euro, mais les spéculateurs et les investisseurs le poussent à la hausse.
Pour les salarié(e)s de ce pays, cette situation est difficile : salaires et emplois sont menacés si le cours extrême se maintient. Les caisses de pensions sont aussi concernées. Pressions sur les salaires, démantèlements et délocalisations menacent, surtout l’industrie d’exportation et le tourisme. Même avec le cours plancher de 1,20 franc pour 1 euro, nombre d’entreprises ont supprimé des emplois et délocalisé des parties de leur production, dont certaines traditionnelles comme Scintilla de Zuchwil (vers la Hongrie).
Une décision incompréhensible et grave
Syndicats et employeurs ont violemment critiqué la décision de la BNS. On ne comprend pas pourquoi elle a supprimé l’écran de protection que représentait le taux plancher précisément au moment où il était urgent de le maintenir. Si elle pensait devoir acheter trop d’euros pour défendre le taux plancher, pourquoi n’a-t-elle par exemple pas introduit plus tôt le taux négatif de 0,75 %, en plus du taux plancher ? L’écart entre les taux d’intérêt qui en aurait découlé par rapport à l’euro lui aurait permis de respirer un peu.
En l’absence d’un taux plancher, le pilotage du franc est devenu substantiellement plus ardu. Les marchés des devises ont besoin d’être guidés. En effet, le cours des monnaies peut s’éloigner sur une longue période du cours équitable supportable pour l’économie réelle. C’est pourquoi nous avons eu un taux plancher de 80 centimes pour 1 Deutschemark jusqu’à fin 1999. Il avait été introduit en 1987 et n’a jamais été aboli. Par rapport à l’euro, s’il n’y a pas eu explicitement de taux plancher, la BNS a tout de même baissé ses taux d’intérêt lorsque le taux de change est tombé à 1,50 franc, respectivement 1,45 franc pour 1 euro. Par le passé, les taux plancher ont été la règle. Les phases pendant lesquelles on n’a pas donné de but explicite ou implicite aux taux de change ont été l’exception. Souvent, durant ces phases, le cours du franc n’était pas contrôlé. Ce fut aussi à partir de la fin 2009.
En effet, si le franc s’est si fortement apprécié en 2010, la BNS en a malheureusement été coresponsable. Au lieu de défendre systématiquement les seuils implicites de 1,50 franc et 1,45 par rapport à l’euro, elle a dit en mars 2010 que le taux de change allait à l’avenir de nouveau être soumis aux forces du marché. Conséquence : la limite de 1,45 franc pour 1 euro fut aussi franchie. Et le franc s’apprécia largement en l’absence de tout contrôle jusqu’à ce que la BNS introduisit finalement en septembre 2011 le taux plancher de 1,20 pour 1 euro.
Le franc doit nous servir, pas nous nuire !
La BNS ne peut pas simplement faire ce qu’elle veut. Selon le mandat que lui donne la loi sur la Banque nationale (LNB), elle doit assurer la stabilité des prix et tenir compte de l’évolution de la conjoncture (art. 5 LNB). Elle n’a pas le droit de permettre que les salaires soient mis sous pression et que le chômage augmente. Le franc doit nous être utile, pas nous nuire. La BNS doit, avec l’aide des politiques, tout entreprendre pour que cela redevienne ainsi. Les problèmes de taux de change ne peuvent être résolus qu’avec la politique monétaire.
Par contre, les baisses de salaire demandées par l’économie d’exportation sont politiquement et économiquement absurdes. Pour compenser les effets du franc surévalué, les salaires devraient baisser, selon la branche, de plus d’un tiers. C’est inimaginable. Aujourd’hui, l’industrie a déjà de la peine à trouver de la main-d’œuvre de qualité et de la garder. Les baisses de salaire empoisonneraient toute l’économie. Les détaillants pourraient moins vendre et les carnets de commandes de la construction se dégraderaient rapidement.
La BNS doit stabiliser le franc à un niveau supportable. Le franc doit nous servir, pas nous nuire !.