Après la récente prise de position du Conseil fédéral sur le projet de réforme du lobby des assurances, le Parlement va maintenant aborder ce " financement uniforme ". En cas d'acceptation du projet, de nouvelles sources de bénéfices s'ouvriront aux caisses-maladie et aux hôpitaux privés. Aux dépens des payeurs et payeuses de primes, bien sûr !
Cela fait des années que les faîtières des caisses-maladie se plaignent de fausses incitations onéreuses qu'il s'agirait d'enfin éliminer. Elles se gardent bien de dire qu'elles font elles-mêmes partie des principaux acteurs à en tirer parti. Par exemple, elles font en sorte, lors des négociations sur les tarifs stationnaires, que leurs assurances complémentaires lucratives soient favorisées partout où cela est possible, ce qui occasionne souvent des coûts supplémentaires pour les cantons. Toutefois, le modèle commercial des caisses-maladie et des hôpitaux privés est depuis longtemps sous pression. En effet, le Conseil fédéral et les cantons misent à juste titre sur davantage d'interventions peu compliquées en ambulatoire (c.-à-d. sans nuit à l'hôpital). Cela ne plaît absolument pas aux hôpitaux privés qui se sont largement dotés en appareils, installations et pavillons coûteux (voir "Hirslanden: So schnell verpuffen 800 Millionen Franken", en allemand). Et les caisses-maladie ne sont pas non plus contentes de cela, car elles gagnent aujourd'hui de l'argent surtout avec les assurances complémentaires dans le domaine stationnaire, désormais en recul.
Face à cette évolution, elles ne sont bien sûr pas restées sans rien faire. D'un côté elles remanient depuis des années leur modèle d'affaires et deviennent petit à petit non seulement des assureurs, mais également des fournisseurs de prestations. Ainsi l'assurance maladie Swica par exemple, avec sa chaîne de cabinets de groupe Medgate (en collaboration avec... la Migros !). D'un autre côté, elles se montrent de plus en plus agressives dans leur prise d'influence, au plan politique, sur la régulation de l'assurance de base. Elles sont en première ligne avec les membres rémunérés de leurs conseils d'administration et de divers autres organes qui siègent aussi à la commission de la politique de santé publique du Conseil national : Raymond Clottu (UDC/Groupe Mutuel), Ulrich Giezendanner (UDC/KPT), Sebastian Frehner (UDC/Groupe Mutuel), Heinz Brand (UDC/Santésuisse), Lorenz Hess (PBD/Visana), Ruth Humbel (PDC/Concordia) und Bruno Pezzatti (PLR/Groupe Mutuel).
Préserver l'accès non discriminatoire
Le " financement uniforme " est le projet phare du lobby des caisses-maladie. Selon ce modèle, les cantons devraient participer à parts égales et sans surcoût au financement des soins ambulatoires et stationnaires (actuellement, les cantons ne financent que les traitements stationnaires, à hauteur de 55 %). L'idée est bonne, en principe. Mais elle devient problématique dans la mesure où elle prévoit de prendre la somme aujourd'hui fournie par les cantons (soit environ huit milliards de francs) pour la refiler littéralement aux caisses-maladie. Celles-ci pourraient alors distribuer ces fonds selon leur bon vouloir aux prestataires de soins. Et qui en profiteraient le plus ? Les cliniques privées notamment (même celles qui ne figurent pas sur les listes des cantons !) et par conséquent, les modèles d'assurances complémentaires des caisses-maladie.
Le système de santé est un élément du service public : il fait partie de l'approvisionnement public de base. Personne ne choisit s'il ou elle tombe malade ni quelles " prestations " il ou elle aimerait avoir. La santé, ce n'est pas du Coca Cola. Il est donc impératif de mettre le holà à la mainmise éhontée des protagonistes privés sur la gouvernance dans le système de santé. Le mieux, ce serait que le Conseil national le fasse déjà lors de la session d'automne qui commence sous peu. La régulation et la planification de l'approvisionnement en santé publique doit rester intégralement la mission des pouvoirs publics. Ce n'est qu'ainsi qu'un accès non discriminatoire aux prestations peut être garanti pour toutes les couches de la population.
Cet accès est d'ailleurs sous pression depuis longtemps, en raison d'un mode de financement antisocial. Mais même avec le " financement uniforme ", les payeurs et payeuses de primes ne gagneraient rien du tout, au contraire : le mécanisme de financement proposé conduirait même à ce que la participation aux coûts pour les assuré-e-s, déjà exorbitante à l'heure actuelle, augmente encore davantage. Et si la revendication alternative des cantons devait être entendue, à savoir que les soins de longue durée soient intégrés au " financement uniforme ", elle résulterait inévitablement en une poussée supplémentaire et prolongée des primes. Car avec l'évolution démographique, il n'y a aujourd'hui pratiquement pas un poste de dépense qui augmente plus rapidement que les soins de longue durée. Ceux-ci font tout autant partie de l'approvisionnement public de base que les soins médicaux et doivent dès lors aussi être financés principalement par des fonds publics, c'est-à-dire par des recettes fiscales prélevées en fonction du revenu. Un nouveau transfert sur les primes par personne serait absolument intolérable pour une bonne partie de la population.