« L’initiative est un grotesque programme d’intimidation »

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Écrit par Markus Fischer

L’initiative de "mise en œuvre" musèle les activistes syndicaux sans passeport suisse

Si l’initiative de l’UDC était acceptée, des délits relativement inoffensifs, commis dans le cadre d’actions syndicales ou de manifestations, conduiraient au renvoi automatique des syndicalistes qui n’ont pas la nationalité suisse. Il suffirait qu’ils aient été condamnés pour un autre délit mineur à une amande pécuniaire dans les derniers 10 ans. L’avocat Marc Spescha y voit une manière d’intimider et de réduire au silence les syndicalistes étrangers. Extraits d’une interview réalisée par Markus Fischer, du Service de la communication du SEV.

Dans le cadre d’une action syndicale, quels sont les éventuels délits mineurs prévus par l’initiative de mise en œuvre qui conduiraient à l’expulsion automatique ?

« Si un syndicaliste pénètre sans autorisation sur le site d’une entreprise, c’est une violation de domicile. Et s’il écrit sur une vitrine « Pas de dumping salarial », il s’agit d’un dommage à la propriété, même si c’est joliment fait. Cela suffirait déjà à faire renvoyer son auteur, si cette personne n’avait été condamnée que pour une petite peine pécuniaire au cours des derniers dix ans. Comme par exemple, pour avoir été arrêté par la police après s’être brièvement assoupi au volant en raison de la fatigue et avoir, l’espace de quelques secondes, perdu le contrôle de son véhicule. Ce qui peut donner lieu à une petite peine de quelques jours-amendes avec sursis. Mais cette condamnation antérieure suffit déjà si le conducteur fautif se fait condamner quelques années plus tard pour avoir fait un graffiti syndical sur les murs d’une usine. Il serait alors renvoyé automatiquement. »

Dans le cadre d’une manifestation syndicale, quel est le risque d’être automatiquement expulsé si l’on devait en venir aux mains avec des contre-manifestants, un service d’ordre privé ou la police ?

Dans de tels cas, on tombe vite sous le coup des lésions corporelles simples ou de participation à une rixe. Des lésions corporelles relativement légères suffisent, également si l’on n’est que marginalement partie prenante et que l’on se soit vite retiré de la rixe ou abstenu, comme le commentaire de l’art. 133 du Code pénal le précise : « Les personnes ayant pris part [à une rixe], sont celles qui ont distribué des coups, qui ont commis au moins une voie de fait, cela indépendamment du fait que les coups aient été administrés dans le but de l’agression ou de la défense. Est aussi punissable le participant qui s’est extrait de la rixe avant même que ces conditions ne soient réalisées. » Sous le terme de rixe, on comprend « un affrontement violant auquel trois personnes au moins prennent part et au cours duquel, deux ou plus de personnes s’agressent mutuellement. ». La violence ou la menace contre les autorités et les fonctionnaires est aussi une infraction vite commise quand la police intervient contre une manifestation ou une action syndicale. A commis cette infraction, selon l’art. 285, la personne qui, en usant de violence ou de menace, aura empêché une autorité, un membre d’une autorité ou un fonctionnaire de faire un acte entrant dans ses fonctions. Le commentaire précise que rien que de l’empêcher d’accomplir l’acte entrant dans ses fonctions ou un acte complémentaire suffit à commettre l’infraction. Comme par exemple que cette personne se débatte quand la police veut l’arrêter.

La clause de rigueur est-elle bien la principale différence entre l’initiative de « mise en œuvre » et la loi d’application sur l’initiative sur le renvoi ?

Exactement. Au contraire de ce que prévoit l’initiative de « mise en œuvre », l’application de la loi exige que le juge prenne les circonstances en considération. Quand ? Où ? Qui ? Depuis combien de temps le prévenu est-il en Suisse ?A-t-il de la famille, une femme, des enfants ? Etc. L’initiative de « mise œuvre » ne laisse le juge que constater si l’infraction a été commise ou pas, et si c’est le cas, automatiquement prononcer l’expulsion du pays.

Si l’initiative de mise en œuvre était acceptée, comment se défendre contre une expulsion pour un délit relativement mineur comme ceux cités ci-dessus ?

On peut aller jusqu’au Tribunal fédéral, ce qui serait obligatoire si les juges cantonaux appliquaient à la lettre l’initiative. Le Tribunal fédéral serait submergé de centaines de plaintes à cause d’expulsions prononcées suite à des délits mineurs. Actuellement, on ne recourt quasiment pas contre une peine pécuniaire. A l’avenir, les étrangers seraient obligés de faire recours à cause de l’expulsion qui en découle. Et si le Tribunal fédéral ne cassait pas les jugements, les cas seraient portés devant la Cour européenne des droits de l’homme où ils auraient de bonnes chances de succès.  

Indépendamment de l’issue de ces recours, est-ce qu’à cause de l’initiative de mise en œuvre, les activistes syndicaux auraient de plus grands risques d’être confrontés à des problèmes lorsqu’ils participent à des manifs ou à des actions ? Leur conseilleriez-vous de se tenir à distance ?

On peut aussi imaginer que leur réponse soit : « Maintenant cela suffit, on ne me fera pas avaler ça ! » La transgression massive de cette norme légale disproportionnée paralyserait l’Etat de droit. Il est par contre plus vraisemblable que les personnes sans passeport suisse auraient tellement peur des conséquences qu’elles renonceraient à de telles activités. L’initiative est non seulement une attaque extrêmement agressive contre l’Etat de droit en tant que fondement de notre démocratie, mais aussi un programme d’intimidation des citoyens et citoyennes critiques. Elle se prête tout à fait à étouffer une démocratie vivante et à faire taire tous les mouvements extra-parlementaires. Les syndicalistes qui s’engageraient de bonne foi pour leurs droits auraient toujours un pied dehors, car le seuil pour aboutir à une infraction menant à l’expulsion est extrêmement bas.

Responsable à l'USS

Luca Cirigliano

Secrétaire central

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Luca Cirigliano

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