L’initiative sur la responsabilité des entreprises veut mettre fin à un modèle d’affaires hypocrite : celui qui consiste à profiter de bonnes conditions cadre dans notre pays tout en foulant aux pieds les droits humains dans le reste du monde. Si le Parlement ne parvient pas à s’entendre sur un contre-projet efficace, le peuple votera bientôt sur l’initiative.
L’initiative « Entreprises responsables – pour protéger l’être humain et l’environnement » (ou « Initiative pour des multinationales responsables ») a été déposée à la Chancellerie fédérale le 10 octobre 2016. Et cela fait bientôt trois ans et demi que le Conseil fédéral et le Parlement bataillent pour définir leur position face à cette importante initiative populaire qui bénéficie d’un soutien des plus larges. On pourrait aussi dire qu’ils bataillent avec eux-mêmes : dans un premier temps, le Conseil fédéral a reconnu le besoin de régulation décrit par l’initiative pour la quasi-totalité des domaines d’action, avant – bizarrement – de recommander son rejet au Parlement… Depuis lors, les Chambres fédérales ont débattu pendant d’innombrables séances de commissions et en plénum de toutes sortes de contreprojets potentiels. Ce qui l’automne dernier semble avoir remis en appétit le Conseil fédéral dans sa nouvelle composition : celui-ci a opéré un virage à 180 degrés pour quand même présenter un contreprojet au Parlement. Un projet qui ne vaut toutefois même pas le papier sur lequel il est écrit.
Trois variantes lors de la session de printemps
C’est donc une bonne chose qu’en raison des délais légaux, le Parlement doive impérativement prendre une décision définitive concernant l’initiative pour des multinationales responsables et un éventuel contreprojet au cours de la session de printemps. Trois variantes sont possibles : soit le Conseil des États adopte le contreprojet défendu par le Conseil national, ce qui, malgré des coupes douloureuses dans le contenu de l’initiative, garantirait une rapide mise en œuvre de réglementations légales efficaces et, par conséquent, le retrait de l’initiative. Soit, au contraire, les Chambres n’arrivent pas à s’accorder, ce qui ferait obstacle à un contreprojet, sous quelque forme que ce soit, et conduirait alors rapidement à une votation populaire sur l’initiative. Même conséquence bien sûr pour la troisième possibilité, soit l’adoption par le Parlement du contreprojet édulcoré du Conseil fédéral.
Menace pour la réputation et les emplois
L’Union syndicale suisse (USS) demande au Conseil des États de passer maintenant à l’acte et d’adopter le contreprojet facilement applicable présenté par le Conseil national. Il ne s’agit absolument pas ici (pas plus qu’avec l’initiative) de faire cavalier seul, comme cela a été insinué : de nombreux pays européens – dont la France et les Pays-Bas – connaissent aujourd’hui des règles contraignantes sur la responsabilité des multinationales dans le monde, qui vont clairement plus loin que les idées du Conseil national. Et beaucoup d’autres États membres de l’Union européenne (UE), tout comme l’UE elle-même, sont sur le point d’introduire de telles règles. Si la Suisse se ferme à cette évolution, sa réputation en souffrira à moyen terme. À plus long terme, elle sera confrontée à la pression internationale – rappelez-vous le secret bancaire et les régimes fiscaux. Un pays comme le nôtre, dont le taux d’exportation s’élève à 70 %, ne peut pas se le permettre. On doit bel et bien affirmer que dire non à tout en matière de responsabilité des multinationales, c’est mettre à moyen terme en danger des emplois dans le secteur des exportations.
Nous, les syndicats, sommes un mouvement international. Pour l’USS, il est évident que les multinationales qui ont leur siège principal en Suisse ne doivent pas recevoir de nos autorités une carte blanche sur le respect – ou, justement, le non-respect – de conditions de travail décentes dans d’autres parties du monde. L’entreprise dont le siège est en Suisse et qui profite des bonnes conditions offertes par cette dernière doit respecter à l’étranger les droits humains, dont font notamment partie, dans le monde du travail, les huit conventions fondamentales de l’Organisation internationale du Travail (OIT). Et elle doit obligatoirement contrôler que c’est le cas. Il faut que d’éventuelles infractions, sciemment commises ou évitables, puissent avoir des conséquences. Car quiconque cause un dommage doit en rendre compte. Tout simplement.